Vilnius aux mains vides (LV 222)

le sommet de Vilnius était présenté comme celui de la renaissance. Force est de constater que ses résultats sont décevants. Le Pdt Zelesnky est ainsi reparti les mains vides, signe de deux impensés du sommet : le premier porte sur l’étendue du soutien à l’Ukraine, le second sur la solidité de l’intérêt américain pour l’Europe.

Le sommet de l’Alliance atlantique s’est tenu les 11 et 12 juillets derniers. C’était le quatrième sommet en 17 mois, signe de la fébrilité de l’alliance. Pourtant, elle traverse des eaux troubles depuis 2016, le Brexit et la présidence Trump. Mettons les choses en perspective.

Des sommets récents

Lors du sommet de Varsovie, en juillet 2016 (voir billet LV), les débats portaient sur le Brexit, le terrorisme en Europe ou la situation en Ukraine : personne n’envisageait la victoire de D. Trump qui fut élu en novembre. L’inquiétude gagna les alliés européens car pendant la campagne, le candidat avait déclaré que l’Otan était obsolète. Comme le remarque O. Sueur (ici), il y eut trois sommets sous la présidence Trump : un seul est mentionné sur le site de l’Otan (ici). Or, à Bruxelles en mai 2017, D. Trump ne réaffirme pas l’engagement américain et admoneste les Alliés sur leur effort de défense. Si le sommet de Bruxelles en juillet 2018 parvient à un consensus, celui de Londres en décembre 2019 (commémoration des 70 ans de l’Alliance) a pour résultat paradoxal de réaffirmer l’engagement à la défense collective alors que plus un allié n’y croit vraiment. Chacun s’interroge sur les missions de l’Otan, c’est la discorde chez l’ami (LV 110).

Si l’Alliance a toujours été en crise, le débat devenait existentiel puisque la garantie américaine semblait désormais dépendre de l’humeur de la Maison Blanche (début 2019, le New York Times expliquait que le retrait de l’Alliance était à l’étude) mais aussi du niveau de dépense. Les vieux thèmes du découplage et du partage du fardeau étaient plus que jamais au cœur du problème.

En novembre 2019, le président Macron mettait les pieds dans le plat en expliquant que l’Otan était en mort cérébrale. Nous avons longuement examiné ce que cachait la phrase (LV 129) et si elle a choqué, elle constitua un électrochoc parmi les Alliés qui se dépensèrent sans compter pour prouver le contraire. Ils lancent un nouveau « rapport des sages » qui recommanda l’écriture d’un nouveau concept. Surtout, J. Biden fut élu en novembre 2020 et un mini-sommet organisé en juin 2021 à Bruxelles : il s’agissait de retrouver la foi dans l’engagement américain en Europe et de revenir à la normalité.

L’année 2022 fut celle d’un nouveau choc avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Paradoxalement, il servit l’Alliance, que chacun allait estimer ressuscitée. Trois sommets sont organisés cette année-là (d’habitude, les sommets se succèdent tous les dix-huit mois) : le premier virtuel dès le 25 février, le deuxième le 24 mars à Bruxelles pour réaffirmer la défense collective et le troisième, (le sommet régulier) les 29 et 30 juin 2022 à Madrid. À cette occasion, les alliés adoptèrent un nouveau concept et admirent deux nouveaux membres (Finlande et Suède, celle-ci attendant l’accord turc). La Russie redevenait officiellement une menace. Ce retour à la normale reste pourtant incertain : renaissance ou simple répit (LV 196) ?

Encore un sommet !

Le sommet de Vilnius est donc le quatrième sommet en moins de 17 mois. Notons qu’après celui de Madrid, il aurait dû avoir lieu plus tard dans l’année, vers novembre. Cette accélération du tempo tient aux circonstances. L’objet d’un sommet reste bien sur toujours d’affirmer la foi commune dans l’article 5. En ce sens, il est toujours une liturgie et immanquablement, le Secrétaire général déclare à l’issue que la réunion a été historique. Malgré toutes ces manifestations d’unité, la multiplication des grand-messes peut suggérer que l’inquiétude demeure diffuse.

Bien sûr, on a beaucoup parlé d’Ukraine à Vilnius. Force est de constater que le président Zelensky est reparti les mains vides. En effet, il espérait au mieux obtenir une adhésion. Dès avant le sommet, Joe Biden avait expliqué qu’il n’en était pas question, appuyé par les Allemands (mais aussi quelques autres alliés plus discrets). Si personne ne s’attendait à l’annonce d’une adhésion, le langage retenu dans la déclaration finale est cependant d’une pauvreté rare : « Nous serons en mesure d’adresser à l’Ukraine une invitation à rejoindre l’Alliance lorsque les Alliés l’auront décidé et que les conditions seront réunies » (texte complet ici). Au fond, rien n’a changé depuis Bucarest : lors du sommet de 2008, les Alliés avaient accepté le principe de l’adhésion mais repoussé à une date indéterminée son déclenchement.

Les circonstances étaient alors différentes : c’était l’américain G. Bush (peu apprécié des Européens et en dernière année de mandat) qui souhaitait cette adhésion, les sondages ukrainiens montraient une opinion rétive, enfin les Européens (Allemagne et France en tête) n’en voulaient pas. Aussi la décision du principe d’adhésion dont la réalisation serait repoussée sine die avait-il prévalu. Quinze ans plus tard, les circonstances ont changé : certains Européens souhaitent l’adhésion, l’opinion ukrainienne est massivement en sa faveur et ce sont les Américains qui n’en veulent pas. Cela révèle deux impensés du sommet.

L’impensé ukrainien

Depuis six semaines et le lancement de la contre-offensive début juin, le débat portait sur les garanties de sécurité à accorder à l’Ukraine (cf. nos points de situation hebdomadaires). Or, le résultat de Vilnius est pauvre : certes, l’Ukraine n’aura pas besoin de suivre les formalités habituelles (le plan d’action pour l’adhésion), certes un club des fournisseurs de F-16 s’est constitué, certes la France ou l’Allemagne ont annoncé l’envoi de quelques armes supplémentaires. Avouons que c’est bien peu par rapport aux déclarations alliées.

Faut-il y voir l’aveu d’une impuissance ? Depuis des mois, les alliés déclarent leur soutien à l’Ukraine notamment lors des sommets répétés. Au début de l’année, un discours de la victoire prévalait : l’Ukraine reconquerrait les territoires perdus, les Alliés lui avaient fourni les meilleurs matériels et la meilleure formation. Aussi beaucoup espéraient que les conquêtes de l’automne dernier se reproduiraient. Las ! Cette offensive, tôt déclenchée, n’a pas donné les résultats escomptés. Visiblement d’ailleurs, les Ukrainiens n’étaient pas totalement prêts et ont précipité l’action. L’ont-ils fait sous pression de leurs parrains occidentaux ? Il est trop tôt pour le dire mais force est de constater que les opérations en cours n’ont pas convaincu. Or, voir les Ukrainiens progresser nettement sur le terrain aurait certainement poussé les Alliés à être plus allants à soutenir l’Ukraine.

Emettons ici l’hypothèse d’une désillusion alliée, impossible à avouer mais qui aurait motivé ce résultat si décevant pour Kiev. Malgré tous les bons mots, il y aurait une forme de résignation, impossible à masquer.

L’impensé américain

Un éléphant demeure dans la pièce : celui de la position américaine. Malgré le resserrement de la cohésion transatlantique à l’occasion de la guerre d’Ukraine, l’inquiétude pointe à nouveau. Deux raisons la motivent, toutes deux à Washington. La première est la persistance d’un débat sur la priorité stratégique. Ce débat est inconnu en Europe et particulièrement en France où ne s’opposent que des soutiens sans condition à l’Ukraine et des pro-russes radicaux. On s’interroge à Washington, tant chez les Républicains que chez les Démocrates : faut-il poursuivre le soutien à l’Ukraine alors que la priorité stratégique demeure la Chine ? D’ailleurs, la revue nationale de sécurité de novembre 2022 n’a-t-elle pas affirmé que la Chine demeurait le principal défi ?

Dans le même temps, le calendrier électoral se rapproche. Si J. Biden a gagné les élections de mi-mandat en novembre dernier, la prochaine présidentielle voit la campagne débuter à l’automne. L’hésitation est générale : doutes sur la personne de J. Biden lui-même, très âgé, doute sur son challenger républicain (Trump à nouveau ? De Santis ?), doute surtout sur le résultat final qui verra aussi bien un nouveau président et un nouveau Congrès. L’interrogation se pose simplement : est-ce Trump qui a été la parenthèse ou Biden ? Dans les deux cas, chacun en Europe sent que l’Amérique n’est plus aussi fiable qu’auparavant.

Dans tous les cas, la priorité américaine restera la Chine, quand la priorité européenne demeurera la Russie. Les discussions ont finalement évolué : les Américains souhaitent que les Européens prennent plus en main leur sécurité, tout en leur donnant toujours leur garantie. Ceci justifie les longs paragraphes sur la dissuasion ou le renforcement des capacités de défense. Le seuil des 2% n’est que symbolique et traduit autre chose que la mise à jour du « partage du fardeau ».

Pilier européen de l’Alliance

Cette orientation sous-jacente favorise les vues françaises. Depuis longtemps en effet, Paris promeut l’autonomie stratégique européenne. Mais les Alliés n’ont pas vu leur sécurité en dehors de l’Alliance. Aussi a-t-on vu une légère évolution du discours du président français, faisant savoir qu’il n’était pas opposé à l’adhésion de l’Ukraine (tout en sachant que les Américains la refuseraient) de façon à plaire aux alliés de l’est. Surtout, après une hostilité à peine masquée, Paris s’est résolu à promouvoir un pilier européen de l’alliance. Tout reste à faire mais l’évolution est sensible. Cela n’impressionnera pas Poutine mais permettra peut-être de sortir l’Europe de son actuelle impasse stratégique.

Vilnius est donc un sommet ambigu et de transition. L’Alliance reste la référence européenne mais doit se transformer.

JOCVP

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