Trump et le Moyen-Orient (LV 118)
Certains battent les tambours de guerre à Washington contre l’Iran. Est-ce à dire que le conflit est inéluctable ? Probablement pas pour deux raisons : d’abord, D. Trump n’est pas partisan des engagements militaires : s’il est brutal, ce n’est pas un faucon à la différence de beaucoup dans l’établissement. Au fond, il veut faire monter les enchères pour pousser les Iraniens à négocier en position de faiblesse un nouvel accord. Pas sûr que ceux-ci tombent dans le piège… Car Trump devient prévisible…
À en croire les médias, les tambours de la guerre se mettent à battre fortement et l’on se préparerait à un affrontement entre les États-Unis et l’Iran. Cette région du Moyen-Orient connaîtrait à nouveau la guerre, une guerre qui ne s’est jamais tellement éloignée de son sol : guerre Iran-Irak des années 1980, première Guerre du Golfe de 1991, deuxième Guerre du Golfe de 2003, intervention américaine en Irak jusqu’en 2011, guerre civile syrienne depuis 2012, émergence de l’État Islamique en 2014 et campagne internationale contre l’organisation, guerre du Yémen depuis 2015. Le lecteur observera que nous laissons de côté le Proche-Orient et les conflits liés à la question palestinienne, ceux du Liban ou de Gaza…
Il est vrai que cette distinction entre Proche- et Moyen-Orient est une habitude française, incomprise des Américains et certainement pas connue de D. Trump. Celui-ci veut-il vraiment engager la guerre contre l’Iran ? Nous en doutons.
Les priorités extérieures de D. Trump
Le président américain est incontestablement un homme d’État à part, tant sa pratique brutale et sans façon d’agir n’obéit à aucune des règles diplomatiques habituelles. La Vigie y a consacré de nombreuses études (par exemple LV 55, 56, 70, 95 et 97). Nul doute qu’il soit un maverick, comme nous le notions dès novembre 2016 (billet), à savoir « un esprit indépendant qui ne conforme pas aux codes conventionnels ». Nul doute que D. Trump ne soit pas conformiste ! Cependant, au bout de deux ans et demi de pratique du pouvoir, on commence à bien le décoder. Autrement dit, il n’est pas aussi imprévisible qu’il aime à le faire croire et sa stratégie du chien fou commence à bien être connue.
Il reste que D. Trump a bien des priorités de politique étrangère et que s’il est brutal et grossier, il est rationnel. Comme tous les présidents américains, il fait face à trois théâtres qu’il se doit de classer par ordre d’importance : la Chine, le Moyen-Orient (qui est très élargi, selon l’approche américain, partant du Maroc pour s’étendre jusqu’en Afghanistan) et enfin l’Europe (et donc la Russie, vu de Washington). Or, dans la continuité de ses prédécesseurs (il détesterait probablement constater qu’il fait quelque chose comme B. Obama), sa priorité est la Chine et il considère qu’il doit agir au Moyen-Orient. Quant à l’Europe (et même à la Russie), il la néglige globalement, la considérant plus comme une vassale serve que comme une alliée égale, plus comme une profiteuse (les excédents allemands) que comme une partenaire loyale.
Mettons un instant de côté la Chine (cf. LV 117) pour considérer le Moyen-Orient et ses quatre pôles : la Turquie, l’Arabie Séoudite, Israël et l’Iran.
Trump et la Turquie
Il faut distinguer les relations entre la Turquie et les États-Unis, mauvaises, de celles entre Erdogan et Trump, qui sont meilleures. En effet, Trump n’a rien dit au moment du coup d’État ni de la répression qui s’est ensuivie à Ankara : il était d’abord fasciné par le miracle économique turc. Plus récemment, les relations se sont un peu envenimées, D. Trump soutenant les Kurdes en Syrie ce qui a contrarié R. Erdogan. Et celui-ci s’est alors tourné vers les Russes pour le contrôle de la situation en Syrie.
Or, cette dernière est moins prioritaire pour l’Américain qui avait annoncé il y a quelques mois le retrait des troupes américaines de la région, malgré la présence de milices iraniennes (et les réticences du Pentagone). Au fond, comme la Syrie n’est pas première dans l’équation moyen-orientale de D. Trump, la Turquie est également négligée.
Trump et Israël
Le président américain a revanche porté beaucoup plus d’attention à Israël. Il est dit-on influencé en cela par son gendre, J. Kushner et par les thèmes de la droite religieuse conservatrice américaine, très favorable à l’État hébreu. Ceci explique qu’il ait tenu une promesse de campagne, à savoir la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël. Rappelons ici que cela constituait depuis longtemps une position du gouvernement américain mais qu’aucun des prédécesseurs n’avait exécuté cette décision. Il a ainsi été cohérent avec son programme (rappelons ici qu’il met un point d’honneur à le remplir méticuleusement) tout en cédant à son trait de caractère favori, celui de vouloir faire bouger les lignes.
Trump s’est également mis dans l’esprit qu’il réussirait à trouver une solution à la question palestinienne. Compte-tenu de son passé d’homme d’affaires, il considère que toutes les parties peuvent céder pourvu qu’on y mette le prix, notamment financier. Il est ainsi très dégagé des considérations politiques habituelles (solution à deux États, respect des résolutions des Nations-Unies, etc.). C’est pourquoi il pense qu’avec l’appui des puissances du Golfe, au premier rang desquelles l’Arabie Séoudite et les Émirats, il persuadera les Palestiniens d’accepter un plan de paix qui passerait par une annexion israélienne des colonies et une fusion de la Cisjordanie résiduelle avec le royaume de Jordanie. Au fond, la position des Israéliens. Pour l’instant, les choses avancent peu.
Cependant, l’appui de D. Trump aux Israéliens ne signifie pas qu’il les suive en toutes choses, notamment dans leur désir de mener une offensive contre les Iraniens.
Trump et l’Arabie Séoudite
Un des premiers voyages de Trump fut pour Riyad. Il avait le sentiment d’y arriver en position de force, puisque les États-Unis sont redevenus indépendants en énergie grâce à leur production d’hydrocarbures de schiste. Dès lors, comme les Séoudiens voulaient de leur côté renouveler la vieille alliance avec l’Amérique, ils acceptèrent d’acheter énormément d’armes américaines : Trump considéra cela comme un grand succès et l’archétype des alliances telles qu’il les concevait : il faut payer (cher) pour bénéficier de la protection américaine.
Aussi le président américain resta relativement insensible aux frasques du jeune pouvoir séoudien, qu’incarne MBS : que ce soit la remise au pas des grands princes du royaume, le lancement d’une guerre vite enlisée au Yémen, la brouille avec le Qatar ou enfin l’affaire Kashoggi. Pourtant, ce journaliste assassiné dans un consulat séoudien en Turquie défraya la chronique et sa mort offusqua l’opinion américaine. Pas suffisamment pour entamer le soutien présidentiel au jeune prince.
Trump et l’Iran
Est-ce à cause de l’alliance séoudienne qu’il faut comprendre l’attitude de D. Trump envers l’Iran et son hostilité manifeste ? Probablement pas directement. En fait, D. Trump a dénoncé le traité de contrôle des recherches nucléaires signé avec l’Iran (le Plan d’action global commun, voir LV 21-22 et 95) pour des raisons variées : certes, remettre en cause le multilatéralisme prévalant jusque là mais aussi et surtout pour dénoncer un des principaux acquis de son prédécesseur, B. Obama. Enfin, il y avait certainement une part d’hostilité envers les Mollahs, même si paradoxalement D. Trump sait passer au-dessus de ses sentiments, dès qu’il s’agit de négocier : on l’a vu avec Kim Jong-Un (LV 97).
Il semble en fait que le président américain veuille négocier son propre accord avec Téhéran. Ceci explique le renouvellement des sanctions à la suite du retrait de l’accord précédent : il s’agit de faire souffrir suffisamment la partie adverse afin qu’elle arrive à la table des négociations assez « assouplie » pour qu’il obtienne plus d’elle. Il faut se souvenir que Trump s’imagine être un grand négociateur, et qu’il cherche toujours à arriver dans des positions de force. Au fond, l’essentiel de sa politique étrangère consiste à établir si possible ce rapport de force pour atteindre ses objectifs. C’est d’ailleurs bien plus simple en bilatéral, ce qui explique également pourquoi il rejette instinctivement le multilatéral, beaucoup trop compliqué pour établir des deals.
Sabre rattling (bruits de bottes)
À cette aune on comprend mieux ce qui est en train de se dérouler en ce moment dans le Golfe. On a fait beaucoup de cas de l’envoi d’un porte-avion dans la zone face à une « menace imminente (…) en lien direct avec l’Iran » : bien peu ont noté qu’il ne s’agissait que de rétablir un dispositif permanent. De même, on a entendu beaucoup le conseiller du président, John Bolton, se répandre en imprécations contre les Perses. Certes, il y a une part de rôle (bon flic/ mauvais flic) mais Bolton est bien un faucon prêt à aller faire la guerre aux Perses. Or, c’est totalement contraire aux instincts profonds de Trump dont tout le discours de campagne a été de ramener les troupes à la maison. Son objectif consiste à fermer les théâtres d’opération actuels, non à en ouvrir de nouveaux. Il n’est pas du tout partisan du « wilsonisme casqué » qui fut longtemps l’axe de la politique étrangère américaine.
Bref, toute l’agitation récente consiste plus à faire monter les enchères qu’à réellement menacer le gouvernement iranien : D. Trump sait très bien qu’une guerre serait encore moins promise au succès que les précédentes expéditions en Afghanistan ou en Irak. Quant aux Israéliens, ils ne peuvent mener une opération autonome (ne serait-ce que par dépendance d’avions ravitailleurs américains). Donc on plastronne.
Ténacité iranienne
Voici pourquoi il faut écouter les appels au dialogue lancés par D. Trump à Téhéran, agacé par son entourage interventionniste. Il cherche « un accord équitable ». Faut-il s’étonner pourtant si Téhéran a fermé la porte et probablement suscité les attentats récents contre des pétroliers séoudiens ? L’Iran qui est soumis à des sanctions qui entravent durablement son économie considère de plus qu’il a tenu ses engagements avec le précédent accord. Enfin, Téhéran observe le précédent nord-coréen : M. Kim a tenu une ligne dure pour finalement obtenir le succès diplomatique qui lui manquait. Téhéran peut aussi tenir.
Car finalement, D. Trump n’est pas en aussi bonne situation qu’il veut le faire croire. De nombreux acteurs commencent à savoir le décoder. Les Iraniens prennent le risque de la fermeté car ils sont plus résilients que le cow-boy impatient. C’est un pari risqué mais raisonné. Ils haussent le ton.
Lien vers l’autre article du 118 : » La France et son armée nouvelle« .
JDOK
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