S'il n'en reste qu'un ce sera l'IndoPac (LV 225)

Depuis plusieurs mois, voire années, la politique étrangère de la France souffre d’une illisibilité notable dans sa dernière qualification de « puissance partenariale de confiance ». Ses partenaires historiques en profitent pour malmener Paris et lui faire subir des affronts historiques. Parce qu’il faut bien exister sur la scène internationale, il ne reste alors plus que l’Indo-Pacifique que l’on fait remonter en puissance, espérant que nos nouveaux partenaires nous feront confiance.

Lorsqu’on est à la tête d’une puissance héritée et qu’on se comporte en héritier dispendieux, les conséquences en deviennent vite inéluctables et … funestes.

Nous avons déjà énoncé (LV 216) pour la France plusieurs marqueurs extérieurs de la puissance héritée tels que le désintérêt des jeunes pour les formations supérieures se déroulant en France ou l’abandon du français comme langue d’usage pour l’Algérie. Depuis, d’autres événements sont venus nous montrer qu’il n’est pas si facile que cela de passer du rôle de puissance colonisatrice à celui de « puissance partenariale de confiance » selon la nouvelle expression annoncée par le président lors du récent discours aux ambassadeurs.

Les maîtres des anciennes colonies et protectorats prennent en effet un malin plaisir à montrer à l’héritier qu’il n’est qu’un héritier dispendieux qui dépend d’eux.

Putsch, le monde entier fait putsch…

La France avait déjà dit adieu à l’Afrique par des entreprises dont on cherchait la logique et le bien-fondé (LV 213).

Ce n’était visiblement pas suffisant pour un certain nombre de militaires africains (dont une bonne partie a été formée en France) qui ont signifié, parfois de manière fort peu diplomatique via un putsch en bonne et due forme, son congé à la Françafrique dont on ne cesse de proclamer la mort depuis des années comme si, telle un vaudou, elle renaissait toujours.

Le Burkina (où le dernier président élu était sûrement parti « rallumer la climatisation » – LV 213 – laissant ainsi la place à ses militaires et leurs successeurs), le Cameroun (où un membre du clan Bongo succède au patriarche Bongo) et enfin le Niger ont congédié manu militari leur président élu sous des apparences démocratiques, le priant d’aller voir ailleurs s’il n’y serait pas mieux.

Si ces coups d’États se sont plutôt passés dans le calme, il en est un qui retient l’attention du fait de sa puissance dramatique : celui du Niger.

En soi, rien de bien différent des putschs qui l’ont précédé : les militaires insatisfaits relèguent aux oubliettes le président élu. Dans la foulée, le nouveau gouvernement décide de fermer les bases militaires françaises pour, pense-t-on, les proposer à Wagner. Las ! Wagner est mal en point et, en outre, Mme Nuland débarque au Niger pour rencontrer les putschistes, ce qui ressemble fort à un coup bas modèle AUKUS. Même si le résultat semble maigre, la CEDEAO et la France en ressortent discréditées.

Alors, plutôt que de tenter de dédramatiser la situation et de dialoguer avec les nouvelles autorités, Paris annonce que le seul président reconnu au Niger est celui qui vient d’être écarté et, martial, annonce que son ambassade et ses militaires ne bougeront pas d’un millimètre. C’est à ces signes que l’on voit que la Françafrique est morte, car si elle était vivante, un Barracuda sanglé dans un Caban (opérations de 1979 visant à renverser l’empereur Bokassa Ier) aurait eu vite fait de déposer le fâcheux pour restaurer la légalité issue des urnes.

Renonçant au contre-putsch françafricain, Paris refuse de rapatrier son ambassadeur et annonce à qui veut bien l’entendre qu’il est « retenu en otage » et réduit à « manger des rations militaires » … Voici un otage dont les ravisseurs veulent à tout prix se débarrasser, situation incongrue s’il en est.

Comme la tragédie doit être complète, une note des DRAC (direction régionale des affaires culturelles) précise qu’il faut « suspendre, jusqu’à nouvel ordre, toute coopération avec les pays suivants : Mali, Niger, Burkina Faso ». En bref, les pays putschistes. Le rédacteur du message devait être un novice, car quelques jours plus tard, la ministre de la Culture déclare que la France ne boycotte aucun artiste, et qu’il y a eu « trop de confusion et visiblement de l’incompréhension suite à certains messages qui ont été passés », et « le château » déclarait pour sa part que « la vocation de la France, c’est d’accueillir les artistes, les intellectuels et de pouvoir justement les faire rayonner en toute liberté ». Fameuse tragi-comédie.

Si cela swinguait un peu, un tremblement de terre (aux sens littéral et figuré) est venu remuer tout ce qui semblait se calmer.

C’est tout comme, un tremblement de terre

Le séisme qui a frappé la région de Marrakech au Maroc au début du mois a montré l’état des relations entre la France et le Maroc. Si le palais royal avait déjà déclaré que les relations entre les deux pays n’étaient pas bonnes, les plus optimistes pouvaient penser que ce n’était qu’exagération oratoire et qu’après une phase de brouille, la réalité aurait pour effet de rabibocher les deux pays. Que nenni ! Si le roi du Maroc déclare qu’il aime toujours la France, son refus de l’aide d’urgence proposée par la France (alors qu’il a accepté celle de l’Espagne malgré Ceuta et Melilla) montre son état d’esprit. Ajoutons que l’adresse directe du président aux Marocains a été perçue pour le moins comme maladroite par Rabat. Autant dire que ce n’est pas tant la France qui est en question au palais que celui qui en porte la voix.

La brouille n’est probablement qu’une question de malentendu et de patience : espérons que les années à venir offriront des occasions de renouer des liens plus chaleureux.

Que reste-t-il de nos amours ?

Évincée d’Afrique noire, boudée par les pays du Maghreb, inexistante au Proche-Orient malgré des tentatives d’intervention au Liban, que reste-t-il donc à la France alors que « le vent qui frappe à sa porte parle des amours mortes devant le feu qui s’éteint » ?

Même en Europe nous ne sommes plus écoutés, les Allemands étant occupés ailleurs, les Polonais étant obsédés par la Russie et l’Italie par l’immigration.

Force est de constater que malgré tous ses efforts, Paris n’est guère suivi dans ses démarches d’autonomie stratégique européenne.

Il n’est pas question de s’aventurer en Amérique latine ou du Sud, ces pays étant la chasse gardée de l’oncle Sam.

La Russie serait vraisemblablement peu allante pour une nouvelle alliance qui de plus nous fâcherait avec nos amis européens.

Les pôles de la planète présentent l’avantage d’être assez libres, mais il faudrait pour cela réarmer sérieusement la Marine nationale et la doter de navires spécialement équipés pour cette navigation, ce qui ne figure pas explicitement dans la dernière LPM.

Une plongée plus profonde dans le passé colonial de la France nous amène alors en Inde (Yanaon, Chandernagor, Pondichéry, Karikal, Mahé …), terrain d’affrontement avec la perfide Albion qu’il serait possible de réactualiser. Amoindrie par le Brexit, l’occasion semble bonne.

Amnésie

Cette coopération semble tomber à un bon moment puisque l’Inde change le nom de son pays en Bharat pour qu’il ne rappelle plus son passé colonisé par Albion. Puisque cette dernière est l’ennemie héréditaire de la France, cela semble en faire une raison amplement suffisante pour courtiser ce grand pays membre des BRICS et prendre davantage pied dans la région.

Mieux vaut le Bharat que le Viet-Nam, ce dernier ne montrant pas de signes particuliers de réconciliation avec la France.

Oubliant au passage la coopération militaire, notamment sous-marine, avec le Pakistan (souvenons-nous de l’attentat de Karachi en 2002), voici que Paris invite Modi pour le défilé du 14 juillet, fait défiler le régiment du Pendjab (tiens, région frontalière avec le Pakistan, les Indiens semblent facétieux) et évoque une nouvelle vente de Rafales à l’Inde.

La très vaste zone de l’océan Indien et de l’Asie prend ainsi une importance nouvelle, confirmée notamment par la récente visite du président au Vanuatu et en Papouasie qui, même si elle n’a pas été à l’origine de grandes avancées (LV 223) montre un regain d’activité voire un certain activisme de la France dans cette zone lointaine.

En même temps, la colonisation semble ne plus être « un crime contre l’humanité, » car après avoir tenté par trois fois de faire voter l’indépendance à une population calédonienne qui n’en veut décidément pas, le ministère de l’Intérieur est chargé de rédiger un projet de nouveau statut pour l’archipel mélanésien.

Dans l’avant-projet dévoilé à la presse, aucune échéance pour un quatrième référendum sur l’auto-détermination, lequel serait cependant voté par le congrès du Territoire et non plus directement par les citoyens calédoniens. Les manœuvres d’ingérence chinoise dans la région sont de nouveau stigmatisées et les élus locaux sont venus à Paris rencontrer le ministre de l’Intérieur.

Il reste à savoir ce qu’il adviendra de la Polynésie et de son gouvernement indépendantiste (le Tavini est l’héritier du front de libération de la Polynésie) qui espère un referendum sur l’autonomie d’ici dix à quinze ans.

Conclusion inquiète en forme de question

Rejeté par une bonne partie de ses partenaires historiques, la France se construit ainsi une illusion stratégique (LV 219) qui présente l’avantage de l’action lorsque tout semble bloquer.

Il est cependant trop tôt pour savoir si tout ceci sera autre chose qu’une gesticulation résultant d’un constat désespéré.

Encore une fois la même question se pose : mais où sont donc passés les stratèges (LV 219) ?

JONVP

Pour lire l’autre article du LV 225, Catastrophisme ambiant, cliquez ici