LV 209 : Voisins et partenaires belges

Nouvelle année, nouveau cycle géographique, cette fois les frontières terrestres de la France en faisant le tour de ses voisins. Aujourd’hui, nous nous intéresserons à la Belgique, un pays que nous ne connaissons pas aussi bien que nous le croyons et qui a fait le choix radical d’adopter, via le partenariat CaMo, un modèle d’armée terrestre complet, et pas seulement d’acheter quelques véhicules de la gamme Scorpion.

cette année 2023, La Vigie s’efforce de poursuivre sa ligne éditoriale en traitant des thématiques diversifiées : pour cela, alterner régulièrement sujets transversaux et focales sur une zone géographique particulière ou un pays particulier. Ces derniers se prêtent ainsi à des cycles, par exemple l’Europe et ses marches (LV 129, 132, 135, 138, 141) ou le Caucase (LV 159, 181, 184, 186).

Le cycle que nous débutons aujourd’hui portera notre regard vers les voisins de la France, le long de ses frontières terrestres. En bons militaires respectant les usages de la géographie, commençons par le Nord et donc la Belgique, avec laquelle nous partageons 620 km de frontière.

Caractéristiques générales

La Belgique est en 2023 une monarchie constitutionnelle parlementaire fédérale. D’une superficie de plus de 30 000km² et peuplée d’environ 11,5 Mhab, la Belgique est un pays relativement « jeune », puisqu’il n’est indépendant que depuis 1830.

Genèse et influence anglaise

La création de la Belgique est intimement liée à l’Histoire napoléonienne : c’est Napoléon qui théorisa la formule « le port d’Anvers est comme un pistolet chargé en direction de l’Angleterre » et il avait raison. D’ailleurs, en 1944-1945, les Anglais étaient fixés sur la capture du port d’Anvers afin de simplifier leurs flux logistiques pour les opérations sur le théâtre d’opérations continental européen. Mais revenons en 1815 : Napoléon est défait à Waterloo (au sud de Bruxelles) et le Congrès de Vienne, sous l’impulsion anglaise, crée le Royaume-Uni des Pays-Bas, englobant l’actuelle Belgique, les Pays-Bas et, en union personnelle, le grand-duché du Luxembourg. Il s’agissait d’avoir un glacis stratégique via un pays-tampon sur le flanc nord-est de la France, pays qui fût suffisamment puissant pour contenir la France et lui interdire le contrôle des estuaires de l’Escaut et du Rhin. Au sein de cet État, les francophones du Sud étaient marginalisés voire discriminés par le centre de pouvoir hollandais ; c’est ainsi que des troubles révolutionnaires ont éclaté en 1830 pour se libérer du joug néerlandais. Les Anglais considérant que les Pays-Bas étaient un peu trop puissants à leur goût, ils les empêchèrent de mater les troubles mais imposèrent la sécession et l’indépendance de la Belgique, en influant notamment sur le tracé de la frontière entre Pays-Bas et Belgique, avec un découpage qui marque encore aujourd’hui les esprits : la Belgique inclut une partie des Flandres, une partie du Brabant, une partie du Limbourg et une partie du Luxembourg. Divisés administrativement en régions Wallonie et Flandres, les Belges parlent trois langues officielles, le français, le néerlandais (le flamand n’étant qu’un dialecte) et l’allemand (pour une petite communauté germanophone à l’est). La figure du roi, gage d’unité à la tête du pays, perd depuis de son envergure, comme dans la plupart des monarchies constitutionnelles du monde.

Format des armées belges

Les forces armées se nomment simplement « La Défense » et le ministère emploie au total un peu plus de 26 000 h. Sur les insignes officiels, les étoiles européennes de l’UE et la rose des vents de l’Otan apparaissent à chaque fois : la Belgique s’inscrit foncièrement dans les deux structures. Le contraire eût été d’autant plus étrange que la majorité des institutions européennes ont élu domicile à Bruxelles, que le siège de l’Alliance atlantique est à Evère (quartier à l’est de Bruxelles) et que le quartier-général des opérations militaires de l’Otan est à Mons, près de la frontière française.

La force opérationnelle de la Défense est divisée en composantes (terre, air, marine et médicale). Au vu du format de ces armées, il y a eu nombre de renoncements, compensés plus ou moins par des partenariats binationaux (ex : la marine avec les Pays-Bas). Rappelons que l’armée de l’air belge met en œuvre les armes nucléaires tactiques de l’Otan sous double clef américaine, tandis que sa flotte est intégrée avec la flotte néerlandaise. Nous nous intéresserons ici à la composante terre, d’une force d’environ 8 000 h – sans moyens lourds, car la Belgique a renoncé aux chars de combat.

Capacité Motorisée (CaMo)

La Belgique devrait intéresser le stratégiste français pour le choix qu’elle a opéré en signant le 7 novembre 2018 le partenariat CaMo, capacité motorisée, avec la France. De ce côté des Ardennes, on en entend à peine parler : complexe de supériorité français face à des voisins d’un petit pays qu’on croit bien connaître mais qui ne nous intéresse en réalité guère, diront les esprits chagrins ! D’un point de vue militaire, comme les expéditions des para-commandos belges en Afrique sont révolues depuis longtemps, de quelle expérience opérationnelle ces forces peuvent-elles dès lors se targuer ?

Pourtant, la décision belge est sans précédent. La composante Terre cherchait à se réformer à l’horizon 2025-2030 et avait exploré plusieurs possibilités, avant de retenir l’option française, qui était en train de transformer sa FOT (force opérationnelle terrestre) via le programme Scorpion. Il faut croire que le rapport qualité-prix, en plus de la fenêtre temporelle d’opportunité, a séduit.

Or, loin de décider un simple achat de matériel sur étagère (ordre de grandeur : 380 véhicules multirôles Griffon et 60 blindés Jaguar essentiellement, pour un montant d’environ 1,6 Md€), le CaMo va beaucoup, beaucoup plus loin.

En réalité, la Belgique a décidé de transformer l’ensemble de sa FOT, soit environ 5 000 h répartis en cinq bataillons, formant ensemble la « Brigade Motorisée », en brigade Scorpion à la française. Il n’y a que les éléments de commandement de la composante Terre et les forces spéciales qui ne sont pas concernés par cette réforme.

La modernisation des forces terrestres belges ressemble étrangement à la méthode des « petits pas » chère aux pères de l’Europe pour pousser vers une intégration toujours plus forte les différentes nations européennes. Au lieu de mettre sur pied une énième structure de commandement, plus ou moins internationale, méthode affectionnée des Français, les Belges se sont concentrés sur leurs soldats. Pour l’instant, aucun état-major commun n’est prévu. Pas de corps de réaction rapide européen ne commandant aucune troupe (alias Eurocorps), ni d’état-major conjoint commandant des unités nationales (alias la Brigade franco-allemande).

Modèle d’armée complet

En revanche, l’organigramme des bataillons belges va être revu pour être équivalent à l’ordre de bataille des unités françaises. Équipés à l’identique, ils seront organisés à et combattront pareillement : en effet, les Belges participent directement à la conception et à l’écriture de la doctrine d’emploi (insertion de personnel belge au Centre de doctrine et d’enseignement du commandement français). Les exercices conjoints, qui ont commencé depuis plusieurs années, deviendront donc bientôt parfaitement intégrés ; une compagnie d’infanterie ou un GTIA belge ou français seront non seulement interopérables, mais parfaitement interchangeables, dotés des mêmes équipements, utilisant les mêmes procédures et les mêmes procédés tactiques. Le système d’information et de communication Scorpion (SICS) reliera tout le monde. Seule la couleur d’uniforme changera et une partie de l’armement individuel … C’est bien plus ambitieux que tous les autres projets interalliés dont nous avons l’habitude.

Au-delà des exercices conjoints (Celtic Uprise), l’effort de formation a déjà bien commencé. Les stages français sont ouverts aux Belges. La France envoie aussi des stagiaires en Belgique (enseignement militaire supérieur, stages de spécialité).

Un cadre au périmètre flexible

D’un point de vue industriel, un vrai partenariat a été trouvé également : des Belges participent à la conduite de projet et plusieurs éléments techniques du programme Scorpion sont élaborés en Belgique. La France s’est dotée, pour ses tireurs de précision, du fusil Scar de la très célèbre « Fabrique Nationale », FN Herstal. Le cadre du CaMo a été utilisé pour la commande à la France, en 2022, d’une petite vingtaine de canons Caesar : les armées occidentales redécouvrent toute l’artillerie à l’heure de la guerre d’Ukraine et le rapport qualité-prix du Caesar, système d’arme souple et manœuvrier, est bon.

Humilité et pragmatisme

D’un côté, la Belgique a démantelé une grande partie de sa défense ; elle ne peut plus qu’aligner qu’une seule brigade interarmes pour sa composante Terre, ce qui fait nettement moins que la France, même en proportion de sa population. Les autres composantes militaires belges souffrent également, le manque de personnel est cruel, notamment le personnel officier réellement bilingue.

D’un autre côté, la France ne peut que saluer le choix courageux d’aligner totalement le modèle d’armée terrestre sur celui de son « grand » voisin, au-delà d’un simple choix d’équipement. Pas de structure de commandement en coquille vide, mais des forces ayant même adopté la même doctrine d’engagement. Qui aurait la même humilité et le même pragmatisme ? Pourtant, c’est le premier vrai pas réel vers une « armée européenne », avec le caveat des règles juridiques d’engagement, qui demeurent dans le périmètre souverain étatique.

Espérons que ce partenariat sera un franc succès et qu’il fasse des émules. En attendant, intéressons-nous un peu plus à Bruxelles : ça vaut le voyage.

JOCVP

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