La question chinoise (LV 197)

La Chine connaît un ralentissement économique soudain, dû en grande partie à une politique brutale de zéro Covid. Cela vient fragiliser un système fondé sur une croissance performante. Cela affecte la posture internationale de Pékin : moins envers l’étranger proche que la mise en œuvre de sa politique mondiale. Ces défis économiques posent des problèmes politiques qui seront au cœur du prochain Congrès du PCC, cet automne.

Poursuivons une série entamée l’automne dernier : les questions de puissance. Après l’Allemagne (LV 178) et les États-Unis (LV 179), questionnons la Chine. Pour cela, partons de la scène intérieure qui toujours commande la posture extérieure (LV 73) : celui-ci sera évalué sur les plans de l’étranger proche et de la scène mondiale.

La scène intérieure

Le ressort actuel de la puissance chinoise est économique : chacun a en tête le miracle chinois et ce véritable bond en avant entamé depuis les années 1980. Voici pourtant que le moteur économique se grippe gravement. Ainsi, au 2ème trimestre 2021, la croissance chinoise n’a été que de 0,4%. On prévoit une croissance annuelle de 2% seulement, inférieure à la croissance américaine, pour la première fois depuis 1976. La raison de ce blocage tient à une politique anti-Covid brutale et inefficace qui a accentué tous les excès du modèle économique chinois.

En 2020, beaucoup louaient l’approche chinoise de traitement de la pandémie. La Chine apparaissait alors comme la grande gagnante de la crise (LV 139). Deux ans plus tard, c’est l’inverse : les vaccins chinois n’ont pas été efficaces et le gouvernement a poursuivi une politique « zéro Covid », qui s’est révélée inadaptée au développement de nouveaux variants. Ainsi, Shangaï a été confinée pendant deux mois au début de l’année alors qu’il s’agit du poumon économique du pays. La brutalité de la décision reprend les travers autoritaires des directions chinoises et ignore les nouvelles modalités (« vivre avec le Covid ») expérimentées ailleurs. Observons que personne n’ose dire au président Xi les méfaits de cette politique.

Ce ralentissement économique fragilise l’ensemble du système : l’immobilier connaît ses premiers défauts de paiement, ce qui fragilise par contrecoup le secteur bancaire. La Chine avait construit son modèle sur un surinvestissement résolu et un endettement massif. Curieusement, le pouvoir espère relancer la machine en finançant de nouvelles infrastructures et ne pense pas à distribuer du pouvoir d’achat. Cette persévérance tourne à l’obstination.

Enfin, ces problèmes graves se doublent d’une démographie qui s’effondre : la Chine a ainsi constaté un effondrement du taux de natalité de 30% en deux ans, à cause précisément des restrictions pandémiques. La longue politique de l’enfant unique a été profondément assimilée par la population, malgré son desserrement récent. À cela s’ajoutent la cherté de l’immobilier et le coût de l’éducation : autant de facteurs qui ont encouragé durablement une structure « 4-2-1 » : quatre grands parents, deux parents, un enfant. La génération du milieu doit donc soutenir celle des grands-parents (il n’y a pas de système de retraite), ce qui la freine dans son désir d’enfants. On assiste ainsi à une « phobie du mariage » : Il y en a eu 7,63 M en 2021, soit une baisse de 40 % en dix ans.

Or, la légitimité du parti ne se mesure pas dans les urnes mais par la performance économique. Le frein brutal de l’économie et l’inadaptation des mesures prises marquent un échec certain. Ceci intervient alors que le pouvoir prépare à l’automne un 20e Congrès du PCC. Le président Xi espère se voir reconduit mais de premières récriminations se font entendre : qu’il s’agisse de colère sociale (que l’on pense aux citoyens de Shangaï qui hurlaient leur haine du pouvoir depuis leurs balcons au printemps) ou de grogne politique.

L’étranger proche

La notion d’étranger proche est issue de la politique russe. Cependant, la Chine l’a adoptée à sa façon. Nous avons vu (LV 164) comment elle s’était approprié son environnement immédiat : la mer de Chine du sud est désormais sous contrôle, tout comme Hongkong (LV 155). Xi Jinping est ainsi venu le 1er juillet célébrer les 25 ans de la rétrocession de la ville à la Chine. Comme symbole, le nouveau dirigeant de la cité est l’ancien chef de la police locale : la répression et la censure sont évidemment au programme de son action. Si le président Xi a réitéré le principe du « un pays, deux systèmes », force est de constater qu’il y a eu un alignement d’un système sur l’autre.

Le grand problème reste Taïwan : lors de sa visite sur l’île, le président américain Joe Biden a déclaré que les États-Unis défendraient militairement Taïwan si Pékin envahissait l’île. « C’est l’engagement que nous avons pris », comme nous l’avions remarqué (LV 193). Il aurait ainsi dit tout haut ce que tout le monde savait tout bas, malgré les démentis apportés dans la foulée par le Département d’État.

Cela a évidemment suscité l’ire de Pékin qui a poursuivi et accéléré ses démonstrations de force, notamment avec des incursions dans l’espace aérien de Taïwan. De même, on a condamné le 9 juin l’accord conclu par Washington et Taïpeh pour la vente de 120 millions de dollars d’équipement naval. Il y a une montée des tensions dans la région. Certains à Pékin pourraient s’inspirer le l‘exemple ukrainien et tenter une expédition de vive force pour s’emparer de l’île. Cependant, le dispositif militaire chinois ne semble pas prêt pour une telle initiative.

Mais la Chine s’intéresse à un deuxième cercle maritime, plus éloigné que ses mers proches : il s’agit des bordures occidentales de l’océan Pacifique (mer des Philippines, Mélanésie), à l’ouest de la ligne de changement de date. Si les territoires libéraux sont hors d’atteinte (îles Mariannes, Carolines, Marshall, Australie, Nouvelle-Calédonie), d’autres intéressent fortement Pékin : les îles Salomon ont ainsi signé en avril un « pacte de Sécurité » qui a mis en émoi toute la région.

Le ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Yi, a entamé une tournée des îles de la région en mai et juin, de Vanuatu à la Nouvelle-Guinée. Cependant le Forum des îles du Pacifique, mené par les îles Fidji, a refusé l’ambitieux accord de coopération régional proposé par Pékin. C’est aussi le signe de l’activisme régional des États-Unis et de l’Australie, que surveille la France, présente dans la région (Nouvelle Calédonie et Polynésie, cf. LV 182 et 173). Cette rebuffade a déplu à Pékin.

Posture mondiale

La Chine a compris que sa centralité pouvait s’imposer au reste du monde (LV 117). Elle a donc développé une politique mondiale originale : défense simultanée de la mondialisation économique et du respect intangible de la souveraineté des États. Cela s’est traduit par une politique d’investissement dans de nombreux pays (avec des prêts permettant de mettre peu à peu la main sur les ressources du pays), développement de l’initiative Ceinture et route et de mécanismes associés (banque d’investissement), mise en place d’outils internationaux favorisant l’attrait de partenaires (Organisation de Coopération de Shangaï, sommet des BRICS).

Cependant on assiste depuis quelques mois à un certain raidissement chinois, qui s’est manifesté par le ferme langage des « loups combattants », ces diplomates qui ont durci leurs propos. Il s’en est suivi un affaissement de l’image chinoise à travers le monde, surtout à l’Ouest. L’émergent est aujourd’hui perçu comme un dominant, ce qui favorise indirectement la posture de Washington qui expliquait depuis des années que la Chine était devenue un risque de sécurité. Le dernier concept de l’Otan reflète ainsi cette nouvelle perception (LV 196).

La Chine doit ici conjuguer des contraires : elle manifeste un soutien implicite à Moscou dans sa guerre en Ukraine, alors pourtant que cela met en cause son principe cardinal de non-ingérence. Mais elle en tire profit de deux façons : de nouveaux approvision-nements d’hydrocarbures et de matières premières à bon prix, la mise en place d’un système financier alternatif au dollar.

Elle défend la mondialisation mais sa propre politique économique entrave les chaînes logistiques de la planète et contribue au ralentissement mondial. Elle ne peut rompre avec les pays de l’OCDE puisque sa demande intérieure est trop faible et que sa croissance dépend toujours des exportations. Surtout, sa relance intérieure obère ses capacités de projection de puissance : « Les prêts de développement, arc majeur des nouvelles routes de la soie en Asie et en Afrique, ont déjà chuté de 96 % ces dernières années, passant de 75 milliards de dollars en 2016 à 4 milliards pendant la pandémie, tandis que la valeur globale du projet est passée de 255 milliards de dollars entre 2010 et 2019 à moins de 81 milliards en 2020 » (ici). Ses projets militaires ou spatiaux devraient donc être également freinés.

La Chine est donc confrontée à un choix : soit résoudre ses difficultés en augmentant la confrontation, quitte à risquer une expédition contre Taïwan, si jamais la guerre en Ukraine tournait peu à peu à l’avantage de Moscou. Au contraire, faire profil bas et tenter de relancer l’économie pour éviter les troubles sociaux à l’intérieur : cela passe par un certain apaisement des relations avec l’Ouest, tout en poursuivant le développement des rapports avec les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Tels sont les enjeux sous-jacents de la préparation du prochain Congrès du PCC, à l’automne. La Chine a-t-elle dépassé son point culminant ? (LV 164)

La France qui demeure une puissance d’Asie et du Pacifique doit encourager à l’évidence la deuxième option. Une certaine fermeté ne doit pas laisser croire à une volonté d’endiguement, ce que trop d’initiatives américaines suggèrent. Pour autant, la direction chinoise semble assez fermée et rien ne dit que cette posture française soit appréciée. Il reste à entretenir le fil du dialogue avec les autres puissances régionales.

JOCVP

Pour lire l’autre article du LV 197, Sécurité européenne 2022 : aux résultats, cliquez ici