Dossier stratégique n°10 : A la recherche de la stratégie perdue

Comme promis, voici notre quatrième dossier de l’année. Nous les désignons désormais sous le nom de « dossier stratégique » et non plus « étude stratégique », expression réservée à nos clients. Ce dossier revient sur la politique étrangère de la France et sa stratégie, décevante.
Alors que le jeu de poker de l’administration Trump s’est développé en Iran et en Corée, alors que la crise européenne s’est amplifiée avec la perspective d’élections européennes critiques en 2019, alors que Russie et Chine font cause commune dans de nombreux domaines stratégiques, il est bon de se demander où en est l’action extérieure de la France et comment elle s’est comportée pour défendre ses intérêts et contribuer à la marche de l’histoire depuis le début de l’année 2018.
Au fil de la plume et de multiples événements à portée stratégique, on verra la complexité des réalités auxquelles la France doit faire face et sa difficulté persistante à définir une grande stratégie qui lui serve de fil directeur à l’extérieur et qui la renforce à l’intérieur. On restera donc assez réservé sur le cours des engagements de la France et on regrettera le flottement de ses priorités, la place excessive donnée au verbe et sa bien modeste créativité stratégique dans le sillage d’un cercle occidental qui s’est décomposé.
Bonne lecture JDOK
Sommaire
La politique étrangère de la France
- Trompe-l’œil (31 I 18) 2
- 18 mois de politique étrangère (18 XII 18) 5
- La revanche des profondeurs (6 VI 18) 8
Quelle stratégie ?
- Cercles vicieux stratégiques (12 IX 18) 11
- Un rapport de force, ça se construit (4 VII 18) 14
- Stratégie : vacance ou vacuité ? (18 VII 18) 17
- La désescalade comme grande stratégie (28 II 18) 20
- Code génétique stratégique (26 IX 18) 23
Crédit photo :CHAMPARDENNAISAXONAIS on Foter.com / CC BY-ND
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Trompe l’œil
31 janvier 2018
Ce premier texte de notre dossier expose les lignes de force que devait porter la politique extérieure française.
Relance de la politique étrangère
Elle était nécessaire pour sortir la France de l’impasse d’une marginalisation liée à un manque de cohérence et de réalisme. Elle est incontestable et même saluée, tant la France est de retour à l’international sur bien des fronts. La relance effectuée avec énergie focalise d’autant plus l’attention qu’elle s’effectue dans un heureux équilibre entre les travaux de fond effectués avec nos voisins européens, ceux menés sur la scène internationale et les palabres de l’arène stratégique. Elle consacre aussi le retour d’un pragmatisme réel (cf. LV 72, portant sur l’aggiornamento de la politique extérieure française) appuyé par une diplomatie traditionnelle fortement incarnée, une diplomatie de jeu de puissances qui privilégie de facto la continuité, le statu quo mais aussi le conservatisme stratégique.
La rupture est dans la méthode, mais pas dans les partis pris.
C’est qu’en effet on retrouve dans cette dynamique réelle certains travers qui ont marqué jusqu’à la caricature la posture stratégique de la France, contribuant à réduire la portée de ses entreprises et à fragiliser sa sécurité. Il s’agit de la prévalence marquée de la diplomatie des responsabilités et des valeurs sur la diplomatie des intérêts et des atouts. Il s’agit de la conduite résolue d’une formule européenne promue à l’identique comme si l’UE ne souffrait que de manque de volonté et de leadership. Il s’agit enfin du postulat jamais validé du retour positif en sécurité intérieure des actions militaires extérieures.
Ces trois limites suggèrent que nous n’avons pas encore appris suffisamment de nos expériences depuis la Guerre froide. Les hagiographes feignent de les ignorer, tout à leur plaisir de souligner la meilleure lisibilité de notre posture dans le monde nouveau du XXIe siècle, celui que nous avons qualifié avec gravité de terrain vague stratégique (cf. LV 84).
Combiner responsabilités et valeurs
Ces deux moteurs de l’action font partie du génome stratégique de la France depuis longtemps. Mais on peut encore douter aujourd’hui de la pertinence de ces formules politico-militaires de stabilisation et de viabilisation d’États fragiles, fondées sur des processus électoraux de peuples sans vraie culture démocratique. On peut aussi douter de la valeur opératoire des solutions pilotées par des résolutions du Conseil de sécurité dont l’application est sélective, ou de la valeur pacifiante des sanctions juridico-économiques appliquées à des peuples otages de dirigeants autoritaires. On peut aussi s’interroger sur la position de pointe qu’a prise la France dans la lutte contre la prolifération et sur sa prétention à dire où se trouve la vertu dans les dossiers confus où elle s’est invitée et où elle agit avec des certitudes que tous ne partagent pas. On peut enfin questionner le logiciel multilatéral dépassé que la France utilise (COP 21) en dépit des évolutions d’une société internationale hétérogène marquée par l’émergence de nouveaux acteurs.
L’ensemble de ces interrogations légitimes altère la capacité de médiation et l’efficacité stratégique de la parole verbale de la France et fragilise la posture d’équilibre et de fermeté qu’elle revendique comme le marqueur de sa pratique diplomatique. Sont ici concernées nos politiques syrienne, iranienne et coréenne…
Retenue levantine
On relèvera d’ailleurs la hargne bien peu protocolaire avec laquelle la France continue d’aborder « le régime syrien » auquel sont prêtés les crimes les plus abjects. On s’étonnera du ciblage résolu de responsables non identifiés d’une guerre chimique perpétrée par des partis masqués que l’histoire se chargera un jour de révéler.
La France se pose là de façon présomptueuse en gardienne vertueuse de l’universalité de la Convention pour l’interdiction des armes chimiques et de défenseur autoproclamé de lignes rouges occidentales. Le jeu d’alliance dans lequel elle s’implique reste souvent confus et nul ne croira vraiment que les tendances séparatistes kurdes menacent la sécurité de la Turquie et l’autorisent à intervenir sur le territoire syrien comme le font régulièrement les forces israéliennes.
Certes aucun des acteurs régionaux ne saura sortir à lui seul la région du guêpier syrien mais la France est-elle si bien placée pour agir à la fois sur les négociations de Genève et d’Astana et pour entraîner les Européens dans son jeu ? Et sait-elle si bien qui sortirait vainqueur d’une consultation électorale partielle ou totale ? Prendrait-elle le risque de la dislocation de la Syrie ?
À l’évidence, avec la consolidation du Liban et le maintien à flot de l’accord nucléaire iranien, c’est la retenue politique que la France doit s’imposer au Levant.
Europe, espace de souveraineté française ?
On ne saurait reprocher à la France son engagement européen, dès les années 1950, avec les Traités de l’Union occidentale (1948), de la Communauté européenne de défense (1952-1954) et de Rome (1957). Mais beaucoup a été appris sur les limites de la construction européenne, notamment depuis qu’elle est portée par l’UE et que les peuples de l’Europe centrale et orientale ont rallié la famille européenne. La fissure Ouest-Est qui se creuse depuis lors ne permet plus de conduire le projet à terme ni de le poursuivre avec des instances incapables de porter un vrai projet stratégique. À vouloir trop rénover et recombiner, la France semble perdre le fil général. Quelle place pour la Pesco (la coopération structurée permanente) entre le traité de Lancaster House et le nouveau traité de l’Elysée ? Quel rôle pour l’Otan quand la Suède et les Baltes activent l’antagonisme avec une Russie désormais suspectée de défendre ses propres intérêts ? Comment la France nouvelle perçoit-elle la géostratégie européenne ? Quel projet défend-elle ? Car le retour de la France ne change pas plus la donne européenne que le Brexit. Il ne saurait masquer l’impéritie d’une bureaucratie européenne dont l’approche géoéconomique ne sait ni intégrer la défense du continent ni articuler une géopolitique efficace de ses voisinages atlantiques, méditerranéens et asiatiques.
La France n’a-t-elle pas là une occasion historique d’innover pour relancer ce nécessaire projet européen qui ne peut plus se poursuivre à l’identique ?
Mais qui ne s’inquièterait d’un projet de directoire, de Quad ou de Quint pour relancer l’Europe ? D’un projet étriqué qui confinerait la Russie dans la fonction de voisin irritant et de tampon avec la Chine ? Qui ne regretterait que l’UE continue d’ériger des murs en Méditerranée et multiplie les agences de garde-frontières et de garde-côtes, faute d’avoir su penser l’immigration et engager des coopérations utiles avec l’Afrique du Nord et l’Asie de l’Ouest ?
Le projet européen est dans une impasse stratégique et c’est aux pays qui l’ont porté de l’en sortir. Il n’y aura de nouvel élan européen que porté par une approche géopolitique. Aussi la France ne peut faire de l’UE le seul cadre de sa souveraineté.
Sécurité extérieure et sécurité intérieure.
Leur combinaison est essentielle et leur complémentarité évidente. Mais on aura du mal à accréditer le postulat de leur interaction positive ces dernières années, comme d’ailleurs celui de la coexistence bénéfique UE/OTAN en matière de défense de l’Europe. On regardera donc de plus près les effets sécuritaires sur le sol national des engagements expéditionnaires en Afghanistan, Libye, Syrie, Mali, tout comme l’approche comptable et capacitaire choisie pour porter les vœux aux armées. Certes elle est de bon aloi mais ne traduit-elle pas un vrai déficit de vision stratégique, à tout le moins une stagnation de celle-ci (cf. LV 81 sur la Revue stratégique) ? Certes, pour que la France reste maîtresse de son destin, il lui faut des moyens militaires et des moyens gérés au mieux des intérêts du pays. Mais la sincérisation financière de la gestion du budget du Ministère des armées renvoie à la sincérisation stratégique des actions militaires que les forces doivent conduire.
Et là encore il y a bien des choses à explorer a posteriori sur la cohérence sécuritaire de nos engagements expéditionnaires et sur les lourds effets qu’ils ont eus sur la consommation accélérée de nos matériels.
On ajoutera, parce qu’on l’oublie souvent, qu’il s’agit aussi de la gestion du sang des militaires, de l’argent des contribuables et du capital d’autorité politique du pays. Celle-ci doit être aussi sincère et exemplaire que celle-là. Tant mieux si le politique a pris conscience que le monde est dangereux mais a-t-il pu mesurer aussi combien la précarité sécuritaire et économique pesait lourd sur le quotidien des Français, beaucoup plus certainement que la précarité militaire de la France dans ce monde dangereux ? Aussi l’augmentation de l’effort de défense pour les armées, qu’il s’agisse des équipements, des infrastructures ou de la famille, pour essentiel qu’elle soit, ne peut constituer à elle seule une politique de défense, pas plus que la mise au pas d’une hiérarchie autopilotée, la dénonciation de batailles corporatistes d’arrière-garde, la vertu de la coopération européenne, la disponibilité aéronautique ou la multiplication des conseils de défense. Il y a à dire.
La remontée en puissance de la France passe par la fin de cette perte temporaire de lucidité stratégique qui l’empêche de voir que sa plus grande vulnérabilité sécuritaire est d’ordre intérieur.
18 mois de politique étrangère
18 décembre 2018
Près de dix-huit mois après l’élection du président Macron, il est temps de faire le bilan de sa politique étrangère. Il n’avait pas été très loquace sur la question au cours d’une campagne électorale confuse, mais on avait retenu deux mots : pragmatisme et Europe. Ils devaient inspirer un nouveau cours extérieur, la jeunesse du président garantissant une « relance » : une sorte de troisième voie entre les atlantistes d’un côté, les gaullo-mitterrandiens de l’autre, clivage qui avait alors suscité un vif débat entre spécialistes. Force est de constater l’échec assez patent de cette ambition. Est-il dû aux circonstances ou à une erreur profonde de diagnostic, de méthode, de finalité ? Examinons la chose.
L’Europe, l’Europe, l’Europe…
- Macron fut le seul candidat à tenir une ligne pro-européenne. L’argument en est connu : face à la mondialisation, l’unique manière de tenir son rang dans le monde passerait par la construction d’un ensemble assez grand et assez riche pour peser, d’autant plus que nous bénéficions de décennies de construction européenne et donc d’un outil, l’UE, déjà consistant. Il fallait donc aller plus loin et plus fort.
- Macron reconduisait là le vieux fantasme des élites françaises, celle du multiplicateur de puissance. Il partait du constat du déclin relatif du pays (souvenons-nous de V. Giscard qui affirmait dans les années 1970 que la France était une puissance moyenne) et donc de la recherche d’un succédané pour conserver de l’influence. Cela valait bien quelques transferts de souveraineté, pourvu qu’on ait un effet de levier. Ce raisonnement pouvait avoir du sens au temps de la mondialisation heureuse et triomphante. Dix ans après la crise de 2008, l’année suivant l’élection de D. Trump et alors que le réveil populaire se répand de par le monde, il semblait tant anachronique qu’il motiva tous les autres candidats à être plus circonspects. E. Macron, lui, resta droit dans ses bottes européennes. Or, il fut élu.
Pragmatisme et profil bas proche-oriental
En contrepoint de cette ligne doctrinale, « en même temps », E. Macron voulut montrer du pragmatisme qui se voulait réalisme. Ainsi le vit-on abandonner la ligne dure de son prédécesseur en Syrie : cela ne signifia pas un retournement de position ou une discussion avec le gouvernement de B. el Assad, mais au moins la sortie du front des durs et la cessation des déclarations hostiles et sans effet. Il reste que la France (et l’ensemble des puissances européennes et américaines) étaient déjà sorties du jeu.
Au Proche- et au Moyen-Orient, la France prit une position plus discrète, n’intervenant auprès du roi Ben Salmane qu’à l’occasion de l’affaire du premier ministre libanais Hariri, retenu contre son gré à Riyad. Il faut ici saluer le voyage effectué dans l’urgence par le président français qui a probablement pesé efficacement. De même, la France resta-t-elle très discrète lors de l’affaire Kashoggi, ce journaliste saoudien assassiné par les services du Royaume dans son consulat en Turquie. Voici donc un profil bas qui change agréablement avec la position moralisatrice adoptée par l’équipe précédente. On peut y voir un apaisement diplomatique conçu pour regagner une influence discrète mais peut-être plus efficace que les rodomontades usuelles. La ligne semble être de préserver les affaires commerciales, expliquant le silence sur la catastrophique guerre au Yémen. On constate la même passivité pour le Maghreb ou l’Afrique, malgré des discours convenus. Ce sud, grand absent de notre politique extérieure actuelle !
Changement de ton russe
Plus habile fut le retour des conversations avec la Russie de Vladimir Poutine (LV 106). Elles furent permises par de multiples rencontres : visites de M. Macron en Russie (notamment grâce à la coupe du monde de football), ou de V. Poutine en France (rencontre de Versailles, centenaire de l’armistice). Autant de conversations, plus polies que les balourdes rustreries de F. Hollande, mais sans grand effet non plus. Si la France n’appuya que du bout des lèvres les condamnations de ses alliés lors de l’affaire Skripal, elle maintint les sanctions contre Moscou. Enfin, le « format de Normandie » pour régler la question ukrainienne est resté au point mort, la faute il est vrai à l’absence de réforme à Kiev.
Autrement dit, si les choses se passent plus diplomatiquement, ce qui convient au Kremlin (LV 68), on n’assiste pas à un changement de cours ni à la recherche d’un nouveau dialogue paneuropéen : en ce sens, E. Macron reste très conservateur. Probablement cède-t-il en ce point pour satisfaire le point moyen européen, dans le cadre de sa relance continentale.
Un dessein extrême-oriental ?
La nouveauté de la politique étrangère réside peut-être ailleurs : dans la volonté de créer une nouvelle stratégie asiatique. Ainsi a-t-on vu la promotion d’un partenariat stratégique avec l’Inde, un autre avec l’Australie, le tout servi par des contrats d’armement qu’on espère structurants. Pourtant, il faut s’interroger sur le sens réel de cette politique, d’autant que ces partenariats restent assez distants. Ni l’Inde ni le Pakistan ne donnent l’impression de vouloir établir un « axe » Paris-Canberra-Pékin ». Le partenariat signé semble bien marginal à leurs yeux : constatons qu’il l’est aussi pour la France.
On s’interroge en effet : s’agit-il d’appuyer des positions déjà tenues dans chacune des zones ? Alors, il s’agirait dans un cas de la moitié occidentale de l’océan Indien (La Réunion, Djibouti, É.A.U.), de l’autre d’un point d’appui vers les territoires français d’Océanie (Nouvelle-Calédonie, Polynésie) (LV 82). Mais on a plutôt l’impression qu’il s’agit d’avoir une politique « chinoise » dont on ne voit pas très bien la dynamique. L’élongation est au-dessus de nos capacités et surtout, personne n’attend la France dans la région. Autrement dit, la doctrine américaine du pivotement vers l’Asie paraît inadaptée à notre politique extérieure.
Méprise américaine
Envers les États-Unis, E. Macron s’est payé de mots. Il a en effet entretenu des relations cordiales avec son alter ego : celui-ci fut en effet bluffé par le toupet politique du Français, séduit par le défilé sur les Champs-Élysées, charmé par son épouse. Ces réactions mondaines n’ont pourtant pas affecté la politique du 45ème POTUS. On s’en est aperçu lors du voyage effectué par le président français à Washington : étourdi par la standing ovation reçue au Congrès, il crut avoir influencé D. Trump. Mais celui-ci demeura inflexible sur tous les pans de sa politique et notamment sur la question du JCPOA, l’accord nucléaire signé avec l’Iran et qu’il avait dénoncé. Les relations se sont donc refroidies comme en témoignent les tweets postés par le président américain lors de son voyage à Paris le 11 novembre 2018.
Voici donc E. Macron revenu à la position initiale, celle de ses compères européens : une dissension profonde avec l’actuel président américain, la poursuite de la collaboration avec l’établissement de Washington et le retour aux vieilles pistes et connivences transatlantiques : bien loin d’un nouveau cours.
L’Europe, donc ?
Entre discrétion et déception, le pragmatisme n’a pas vraiment convaincu. Reste l’Europe. Le succès n’est pas non plus au rendez-vous. L’ambition avait pourtant été bellement affirmée lors d’un précoce discours de la Sorbonne (lien), prononcé dès septembre 2017 Le mythe de la multiplication de puissance était répété : « les digues derrières lesquelles l’Europe pouvait s’épanouir ont disparu. La voici aujourd’hui plus fragile, exposée aux bourrasques de la mondialisation telle qu’elle va ». Dès lors, « la seule voie qui assure notre avenir, (…) c’est la refondation d’une Europe souveraine, unie et démocratique ». Six clefs furent énoncées (sécurité, frontières, développement, écologie, numérique, économie). Las !
On considéra que le Brexit était finalement une chance : comme si la panne d’Europe était due exclusivement aux Anglais ! On imagina relancer « l’Europe de la défense », reprenant les mêmes vieilles recettes inefficaces depuis vingt ans ; on voulut opposer progressisme et populisme, donnant des leçons à des gouvernements européens déviants, ce qui ne fut pas la meilleure manière de construire l’idée européenne.
Surtout, on s’imagina relancer un nouveau cours avec l’Allemagne. Mais celle-ci, nous l’avons suffisamment dit (LV 103), poursuit ses propres intérêts géopolitiques qui ne voient l’Europe d’abord que comme un moyen : la multiplication de puissance se fait au profit exclusif de l’Allemagne, ce que Paris se refuse à voir. De plus, la situation politique allemande est aussi confuse que la française et personne n’est prêt, outre-Rhin, à pousser les feux d’une intégration européenne. Pire, on entend des rumeurs de partage de l’arme nucléaire ou du siège permanent au Conseil de Sécurité, rumeurs mollement démenties à l’Élysée. À la poursuite d’une chimère, va-t-on brader les derniers bijoux de la couronne ?
À la recherche d’un monde perdu
En fait, tout se passe comme si le président vivait toujours il y a vingt ans, en 1999. C’était le temps de sa formation. Voici donc le paradoxe d’une politique étrangère périmée mais promue par un homme jeune qui a vingt ans de retard. Elle se veut ambitieuse et il y a mis de l’énergie, plus intéressé et impliqué que beaucoup de ses prédécesseurs. Pourtant, elle déçoit, à cause de l’erreur de diagnostic initiale. Non qu’il faille s’opposer à la construction européenne, impérative, mais bien plutôt que ce modèle-là, celui de l’UE, ne produit plus les effets qu’il promettait autrefois. Il faut en changer. Ne pas le comprendre s’apparente à de l’obstination. Seuls les sots y voient du caractère. Il est temps de changer de cours.
La revanche des profondeurs
6 juin 2018
La Vigie aimerait parler d’autre chose, de nos outremers qui vont s’émanciper, de la vulnérable araignée océanique qui gère nos flux numériques, du rendez-vous politique malien de l’été, de la relève algérienne, de l’emploi spécial de nos forces en Syrie …
Elle doit pourtant revenir une fois de plus aux racines stratégiques, tant les actuelles « béances » politiques nous montrent le fond de choses souvent masquées.
Qui ne voit que les convulsions actuelles révèlent que la démocratie s’use quand on s’en sert mal, que la norme ne peut appliquer sa vertu régulatrice quand les identités se rebellent et que les formes impériales de la puissance prévalent encore sur les modèles coopératifs ? C’est le retour des passions que pointait notre regretté veilleur et ami, le maître Pierre Hassner.
Cette revanche des fondamentaux sur les fragiles constructions de la force et du droit se retrouve à des degrés divers en Europe dont le modèle intégré a sombré corps et biens, aux États-Unis dont le parrainage s’impose par tous les vecteurs de la force, en Russie dont la fibre nationale se réveille faute de pouvoir s’associer avec l’un de ses grands voisins, en Chine où le mandat du Ciel revient en force au cœur du pouvoir.
La fin du rêve européen
Nous le redisons une fois encore, nous pensons que le moment de l’UE est passé.
Explications : des deux objectifs initiaux de la construction européenne, seul le premier a été atteint, le plus jamais ça des guerres qui ont ravagé le continent. Mais le prix à payer fut élevé : dénationalisation méthodique des défenses à charge de l’OTAN et désétatisation profonde des pays d’Europe à charge de la Commission européenne. Ainsi nationalismes et populismes se trouvaient jugulés.
Enrôlée après la Guerre froide dans la manœuvre américaine de destruction de la Russie soviétique et de confinement de la Chine, l’UE n’a pu atteindre le second objectif visé de créer un espace sociopolitique intégré favorable à tous. L’établissement de la concurrence puis des marchés comme régulateurs de l’espace européen a interdit toute forme de patriotisme européen ; le refus de définir des frontières claires et un mode de puissance spécifique ont eu raison d’une espérance partagée par une population homogène au plan culturel.
Alors les peuples reprennent la main sur les bureaucraties.
L’UE ne peut plus porter le projet européen car le continent se lézarde en pôles régionaux et de sourdes rébellions menacent les structures profondes, notamment financières, qui gouvernent l’UE (LV 90, l’UE qui se fissure). Le Brexit n’y change rien sinon qu’il révèle à quel point les choix politiques des électeurs sont peu acceptables par les bureaucraties ; une illustration confirmée ces derniers jours par la palinodie italienne (LV 96, Divorce à l’italienne).
Avec le rêve européen s’évacue l’idée universelle d’une régulation vertueuse par la norme, le droit, la coopération. L’économie a dévalorisé la philosophie politique et prétend ignorer la géographie, l’histoire, la culture, les croyances, bref ces identités profondes qui revenant en force ont invalidé l’UE.
Il nous faut donc penser une autre formule européenne et non tenter de réparer l’UE.
L’encombrant parrain américain
La démocratie américaine nous a gratifiés du Pdt Trump. Un élu peu ordinaire porté au pouvoir par des Républicains en panne. La Vigie en a longuement parlé (n° 55, 56, 70, 95). Le peuple américain avait sans doute assez bien identifié le système des forces profondes qui propulsaient un challenger démocrate au lourd passif. Il voulait qu’on s’occupe d’abord de lui, de ses intérêts, de sa prospérité. Le Président élu a jeté dans cette entreprise (America First) tous ses moyens, à sa façon désinvolte et provocante. Il sert en priorité les intérêts américains avec des lubies qui lui sont propres et en subissant les contraintes stratégiques que lui imposent ses sponsors.
À ce titre, il s’écarte en fait peu de la ligne stratégique de ses prédécesseurs. Mais ce faisant, il récuse le multilatéralisme ambiant, ouvre des fronts nouveaux et crée des antagonismes inattendus (l’Allemagne ne s’y retrouve plus), lance des alliances perverses à fort contenu religieux (l’Arabie contre l’Iran), réveille des forces profondes (celles de la guerre commerciale et financière) et cimente des coalitions d’intérêt (Russie et Chine).
L’opacité des jeux washingtoniens est telle que ce grand pays est devenu la vraie source d’incertitude stratégique du moment. Les Européens l’ont appris à leur dépens ces derniers temps (accords de Paris, Jérusalem capitale, nucléaire iranien). Mais ils se refusent à en tirer de vraies conclusions, incapables qu’ils sont de sortir du schéma périmé d’une UE révolue. Le Président Trump a l’initiative, pour le meilleur et pour le pire. Il est légitimé par un nationalisme exclusif, une capacité avérée de rebattre sans complexe toutes les cartes des échanges internationaux et d’utiliser sans vergogne tous les vecteurs de sa force sans aucun respect pour les logiques antérieures. Les États-Unis n’ont pas d’amis mais des intérêts, qu’on se le dise.
Est-ce si nouveau ? Le Président Trump est de fait le meilleur déconstructeur de l’ordre international issu de la Guerre froide et le vrai révélateur de la disparition d’un Occident rêvé mais orphelin, qui ne compte plus que pour le cinquième de l’humanité. Le réveil des forces populaires profondes américaines qui ont destitué brutalement l’établissement qui avait pris le contrôle de l’État fédéral a été brutal. Y aura-t-il un autre mandat ?
Quoiqu’il arrive le crédit stratégique des États-Unis est à la baisse et le monde en tient compte.
Le positionnement central de la Russie
La Russie, qui a toujours balancé entre Chine et Europe, a été renvoyée dans l’orbite asiatique sous l’influence des forces profondes du complexe militaro-industriel américain. On se souvient des offres du Kremlin après le 11 septembre et de ses positions conciliatrices et ce jusqu’au défi des révolutions orange.
En Géorgie et plus encore en Ukraine, les casus belli se sont accumulés. La manœuvre russe est restée temporisatrice mais aussi opportuniste (Crimée et Syrie). Malgré les rebuffades multiples, les défis (États baltes) et les sanctions, le Kremlin a su recréer les conditions d’une centralité stratégique inespérée. C’est la marque d’une grande expertise stratégique (mais aussi tactique) des élites politico-militaires russes, tout comme celle d’un nationalisme fort qui rassemble autour du tsar Poutine une forte partie de l’opinion publique russe fière de sa résilience pendant les grandes guerres patriotiques et après, et enfin la vertu d’un système oligarchique où le président sait s’appuyer sur de grands groupes et intérêts industriels prompts à le soutenir.
Ici pas de démocratie à l’occidentale mais un profond sentiment collectif qui légitime l’action d’un président aisément réélu. Plus le régime Poutine est vilipendé au-dehors, plus le tsar peut se réassurer politiquement au-dedans par un discours nationaliste destiné aux forces profondes du pays.
Le crédit stratégique russe est à la hausse avec un modèle certes peu conventionnel mais efficace. Pékin l’a bien perçu et en tire parti en tendant la main à Moscou.
La Chine aux couleurs du Ciel.
Seul challenger digne des États-Unis, la Chine se hâte lentement dans sa marche vers « l’harmonie » qui sera l’association forcée de ses partenaires à ses intérêts profonds. Sa stratégie au long cours arrêtée il y a 30 ans par Deng (prendre le meilleur de l’Occident pour garder le meilleur de la Chine) se poursuit en portant désormais le rêve chinois des « routes de la soie ». Le pouvoir central s’amplifie avec Xi et prend une dimension impériale par réveil des repères symboliques de la Chine profonde.
Les temps du maoïsme et de la Révolution culturelle s’effacent et ceux de la Chine éternelle resurgissent. Ce transfert semble s’effectuer sans trop de heurts à l’intérieur mais pas sans conséquences à l’extérieur tant le temps des Tributaires de la Chine semble revenu. Vietnam et Philippines en font les frais. Japon et Corée manœuvrent pour s’en accommoder. À l’Ouest on s’en indigne mais la masse chinoise s’impose sans coup férir, tant son inertie pèse lourd. Son imperceptible mouvement est continu et Pékin manœuvre à son rythme avec les réalités asiatiques.
L’harmonie stratégique à la chinoise s’installe. Elle devient un recours et une alternative forcés pour tous.
Comment rester la France ?
À l’aide de ce puzzle reconstitué, quelle grande stratégie établir pour rester autant que possible maître de notre destinée ?
C’est bien la finalité ultime de la réflexion que mène La Vigie. Profitons de ce moment où « les béances » révèlent les besoins profonds des peuples. Comment répondre aux besoins des Français en matière de prospérité, de sécurité, d’identité ? Comment les réconcilier avec l’action publique et les réengager politiquement pour tirer le meilleur parti de leurs talents et satisfaire leurs aspirations ? L’actuelle législature a été élue pour cela et elle a su réveiller la fierté des Français. Mais a-t-elle su prendre en charge leur identité profonde et stimuler leur goût de l’intérêt général ? Certes l’Éducation nationale le reprend en charge mais la Justice et l’ordre public sont régulièrement bafoués.
Or l’état du monde pèse sur les peuples. Ainsi les Français savent que l’option européenne se révèle une impasse, que les actions militaires extérieures n’ont pas plus d’effet sur la sécurité du pays que les entreprises diplomatiques.
On ne peut pas ignorer la conscience profonde des peuples.
Cercles vicieux stratégiques ?
12 septembre 2018
Succombons à nouveau à la tentation de la philosophie politique et remontons sur la colline de Sirius pour considérer, de haut, en stratégiste la planète.
En 2016, année du grand tournant, on soldait la guerre froide ; en 2018, on entrait dans la friche stratégique du XXIe siècle. On l’a dit.
Comme le fit la guerre dès les années 1950, la vie internationale semble, depuis les années 2000, s’enfermer dans un cercle vicieux qui produit à répétition ses effets pervers et déclasse la gouvernance laborieuse des ordres anciens, ceux de Westphalie, de Yalta et de la charte de San Francisco. Et aucun espoir d’un ordre stabilisé ne se profile à vue humaine.
Voilà pour le diagnostic. Expliquons-nous.
Mise hors-jeu de la guerre
Pour se résumer, un premier cercle vicieux aurait été enclenché par la mise hors-jeu de la guerre, devenue illégale (la Charte) et ingagnable (l’atome) (cf. RDN déc. 2003). À cette guerre classique que les Latins nommaient bellum (un art avec ses maîtres, stratèges et tacticiens) s’est substituée une autre forme, sauvage et débridée, la guerra (avec son terrorisme de masse et ses assassinats ciblés). En bloquant par le droit et l’effroi une forme de guerre à la syntaxe connue, on aurait favorisé sa mutation brutale vers une violence aux modalités illimitées et à la syntaxe inconnue.
Mais ne voit-on pas aussi s’établir dans le sillage de la dérégulation d’une planète mondialisée, la péremption des Nations et le dessaisissement des États ? Si tel est le cas, un autre cercle vicieux s’installerait à son tour.
Dessaisissement des États
Le stratégiste s’en inquiète. Il se souvient de la casuistique des débats d’il y a 20 ans sur le passage du monde bipolaire au monde unipolaire, apolaire et désormais multipolaire, sur l’hyperpuissance, la puissance douce, relative, celle de la norme … Il dit volontiers que la planète stratégique est devenue hétérogène, multicentrée pour signifier qu’aucune tour de contrôle n’en maîtrise plus le cours. Car les États, pions de base du concert international, semblent incapables de réguler les tensions de ce monde en tension du fait d’une expansion démographique différentielle et d’une prise de conscience de l’urgence écologique. N’ont-ils pas été délestés de leurs capacités d’action par les GAFA et d’influence par les médias, les deux lignes d’un pouvoir transversal, transnational et supra-étatique ?
Aucune communauté internationale ne peut émerger de cette nouvelle distribution de pouvoir diffus ; aucune gouvernance de la planète ne résulte de la coexistence du CS, du G7 et des BRICS, car les Etats qui les constituent sont encadrés par d’autres centres et d’autres intérêts qui priment (cf. Dossier LV n°9 Emergence). Les trois craintes qui hantent les opinions publiques suscitent les antagonismes des sociétés et des Etats : la révolution démographique, le défi climatique et la globalisation de l’économie de marché. D’où cette floraison d’autoritarismes portés par les « peuples profonds » et ces frictions alimentées par des peurs ; pour les conjurer, on dénonce en vain le nationalisme et le populisme…
Voilà ce que le stratégiste relève dans cette période instable où les crises se multiplient et où, pour beaucoup, la guerre se profile.
Car rien ne va dans les zones de transition entre les grands pôles géopolitiques de la planète où les traces d’empire sont toujours à vif. Comme en Europe orientale (Ukraine), en Asie de l’Ouest (Syrie et Palestine), en Afrique du Nord (Lybie et Sahel) ou en mer de Chine (Spratleys).
Du côté des grands ensembles stratégiques, et des grands projets régionaux ou fonctionnels, c’est aussi la débandade. Après la dislocation soviétique, le camp occidental se fissure et les États-Unis régis par le slogan « America first » sont en délicatesse avec le Canada et l’Allemagne. L’UE de son côté ne sait plus rassembler autour d’un projet commun viable ses Etats membres, du Nord au Sud (Brexit) et d’Est en Ouest (l’ancienne et la nouvelle Europe). Et l’Otan, faute de mieux, retrouve pour subsister son challenger russe. Après l’OMC et le TPP, l’Alena capote. L’Unesco ne vaut guère mieux. L’Onu s’est discréditée en échouant à traiter la question palestinienne. Et les grands forums de New York, de Genève, de Bruxelles et de Strasbourg sont devenus de simples centres de pression de multiples lobbies.
En réalité, on n’en finit pas de démonter l’infrastructure de régulation globale établie depuis 1945. De facto, on disqualifie le multilatéralisme qui la gouvernait tant bien que mal. L’heure est désormais au bilatéral. Autres temps, autres mœurs !
Relativisation de la force armée
Le stratégiste note tout cela et comprend qu’imperceptiblement le pouvoir a changé de main, que ses lieux ont migré, que les modes de négociation ont muté et que les indicateurs de puissance se sont diversifiés.
Il a relevé en effet que dans ce paysage stratégique mouvant, une conflictualité fluide apparaissait qui utilise d’autres vecteurs (la religion militante, la criminalité organisée, la technologie dévoyée), d’autres terrains de compétition (espaces sidéraux, océaniques, cybernétiques, droit, monnaie, normes) et sollicite d’autres acteurs (ONG, lobbies, médias, multinationales).
La force armée se relativise dans les conflits.
Cette conflictualité nouvelle, le plus souvent asymétrique offre des combinaisons que le stratégiste reconnait facilement, celle de l’hybridation des moyens (la guerre totale de Beaufre) qui permet la ruse (l’infoguerre) et la dissimulation (l’art de la guerre de Sun Tsu) et les interactions à distance (les liaisons de Castex). Elle déplace ses centres de gravité (vers l’Asie), se satisfait d’alliances de circonstance (Organisation de sécurité de Shanghai, corrélation d’Astana, Moscou/Ankara/Téhéran)) pour résoudre en souplesse les défis du moment.
Face à ces fortes réalités qui concentrent de multiples enjeux, il note deux attitudes principales, celle qui consiste à réagir vigoureusement pour préserver l’ordre établi hier et celle qui avance à petits pas vers un ordre à définir pour demain.
Et c’est là que le stratégiste s’inquiète de ce nouveau cercle vicieux qui s’installe et tend à relativiser, discréditer et marginaliser les États, « trop petits pour les grandes choses du monde et trop grands pour les petites choses des peuples ».
Il sonne à son tour le tocsin pour préserver une forme de société internationale fondée sur les besoins qu’expriment les peuples, lui permettre de se concerter, de réguler ses nécessaires compétitions et les frictions qui en découlent, et de défendre des biens communs fondamentaux, générateurs de progrès pour tous.
Comme « il n’est de Dieu que Dieu » selon un livre sacré, il ne croit pas qu’on ait atteint avec la démocratie et les droits de l’homme du modèle occidental un summum indépassable de l’organisation sociopolitique de la planète ni que la Charte des Nations Unies soit inscrite dans le marbre de la loi universelle. Et il met aussi en garde les dirigeants contre les illusions d’une superstructure formelle qui se défausserait sur des experts, aussi pertinents soient-ils, de la charge des régulations du monde. Pour toutes ces raisons, il pense que les Etats sont essentiels à la marche du monde.
Ayant formulé ce diagnostic du stratégiste sur le cercle vicieux qui mine la gouvernance de la planète et exprimé cette crainte face au désordre actuel du monde, redescendons de la colline pour penser au devenir de la France au XXIe siècle.
L’avenir de la France
L’actuelle législature offre un élan incontestable à sa relance stratégique. Mais elle reste handicapée par une pratique politique qui, de quinquennats en primaires déformant la mécanique constitutionnelle de la Ve République, dérive vers un exécutif présidentiel sans réel arbitrage suprême. On connait ses fragilités socioéconomiques et ses faiblesses structurelles qui freinent sa modernisation harmonieuse. On sait son goût pour le magistère international et pour la vertu qui fait fi de ses intérêts pour défendre ses valeurs à visée universelle. On a du mal à valoriser ses atouts pourtant intacts parce que génériques (LV 5) et à assumer ses responsabilités dispersées aux quatre vents de sa riche histoire (politique, culturelle, sociale, militaire, économique, scientifique et industrielle).
Aussi chacun devine que la France, fatiguée de la grandeur qui l’habite, hésite à formuler une grande stratégie faute de vrai projet politique pour tirer son épingle du jeu.
En effet si l’élan vital actuel permet au PR de définir un cadre stratégique (Discours aux ambassadeurs du 27 août), il manque toujours une vraie vision d’ensemble et des priorités pour permettre à la France de se survivre comme principal acteur de son destin. Afin d’y contribuer, le stratégiste suggère donc deux recommandations « jupitériennes » pour échapper à ce cercle vicieux, rénover le récit national et consolider notre viabilité stratégique.
Le premier défi est l’insécurité publique endémique et ses racines sociales. Son traitement exige la restauration de l’Etat de droit dans les zones contrôlées par des communautés inciviles ou criminalisées par la drogue. Seule une combinaison judicieuse de capacité policière, de rigueur judiciaire et d’éducation sociale en aura raison. Et non la lutte contre un terrorisme importé qui n’enrôle à l’intérieur que du fait d’un narratif national à la dérive et d’un modèle socioéconomique éculé.
Le second défi est la formation, avec nos voisins européens et maghrébins, d’un môle de civilisation et de progrès alternatif d’une UE désormais périmée, un projet qui rassemble de l’Atlantique à l’Oural et du Cap Nord au Sahel.
Un rapport de force, ça se construit
4 juillet 2018
La récente rencontre de Singapour entre deux maîtres-joueurs révèle l’évolution des rapports de force dans le monde actuel. Les indicateurs de la puissance ont changé, ses facteurs se sont diversifiés, les modes d’exercice de la pression sur les autres, antagonistes ou partenaires, se sont complexifiés et les canaux d’emploi de la force se font plus subtils. La règle évolue.
On avait pu penser qu’une formule semi-coopérative s’établirait après la Guerre froide dans un système de gains et de pertes répartis entre puissances gestionnaires de la vie internationale. Il n’en a rien été et c’est bien une formule frictionnelle qui perdure voire s’amplifie rappelant que l’altérité stratégique est une réalité que la mondialisation ne peut effacer. L’évolution en cours préfigure une nouvelle distribution des rôles à laquelle il faut se préparer.
Invariants stratégiques
Dans toutes les civilisations et à toutes les époques de l’histoire, les autorités ont fondé leur légitimité, et donc leur autorité politique, sur leur capacité à faire respecter les intérêts des peuples dont ils avaient la charge. Pour y pourvoir, ils ont souvent eu comme principe directeur de veiller à leur liberté d’action pour choisir avec le minimum de contraintes les modalités d’un avenir qui leur soit favorable. Pour cela, ils ont eu recours à des combinaisons variées, ce qu’on nomme précisément une stratégie. L’art suprême de toute stratégie consistant à obtenir des effets majeurs à partir d’actions mineures dont l’arrangement construit un rapport de force favorable avec l’environnement. Or les combinaisons classiques évoluent actuellement sous nos yeux et il nous faut les réévaluer.
Inventaire des jeux d’acteurs actuels
De l’histoire des siècles passés, on se souvient principalement des rapports de force militaires. Ce sont eux qui ont décidé des gains et des pertes matériels et immatériels qui ont fait les puissances d’aujourd’hui. La stratégie militaire a été le principal indicateur de la volonté de puissance des peuples. Il en reste des traces dans la société internationale que l’on peut schématiser ainsi.
Il y a la méthode de l’enveloppement que pratiquent si bien les dirigeants chinois, experts du jeu de go, qui laissent un espace minimal de manœuvre à leurs partenaires et les assujettissent à leurs intérêts. C’est la fiction douce de l’harmonie par la masse qui s’impose. La méthode du défi stratégique est portée par des règles de manœuvre codifiées par des lignes rouges, celle dont les maîtres du Kremlin, malgré leurs moyens militaires limités, sont de redoutables praticiens, à l’affût de mise en échec des stratégies adverses. Désormais, la méthode commerciale des deals est pratiquée par l’administration américaine sur une base de coups de force et de négociations floues. Mais ces trois lignes stratégiques ont aujourd’hui bien du mal à s’articuler et à définir une règle du jeu collective facilitant l’exercice coopératif d’une cohabitation positive des 7 milliards d’habitants de la planète mondialisée.
Le syncrétisme stratégique pointe comme mode de gouvernance (LV 97). Mais aucune autre ligne cohérente ne semble d’ailleurs émerger, ni de l’expérience européenne qui se révèle incapable de faire respecter ses choix normatifs, ni du monde éphémère des Brics qui n’a pas su établir sa spécificité, ni du besoin criant de développement sécurisé qui devrait rassembler les peuples d’Afrique.
L’altérité stratégique reste entière, on l’a dit.
Évolutions en cours
Les deux principaux changements à prendre en compte pour réévaluer les rapports de force ne relèvent en fait pas de la méthode. Ils concernent les champs de tension et les acteurs qui s’y impliquent.
Les rapports de force abordent aujourd’hui les très nombreux domaines non militaires de la puissance, ceux que les stratèges chinois désignaient il y a dix ans déjà comme les cinq secteurs fluides non administrés par la loi internationale et où la compétition était lucrative ; ils nommaient alors les espaces océaniques, monétaires, sidéraux, informatiques et conceptuels qu’ils se proposaient d’investir pour s’y installer en force. Constatons que la compétition y fait désormais rage. Et de nouveaux intervenants y portent mieux que les États les compétitions à leur paroxysme. C’est l’autre dimension des rapports de force qui s’est imposée depuis la fin de la Guerre froide, avec la multiplicité des acteurs décisifs, infra ou trans-étatiques qui administrent les rapports de force à la place des administrations ou des superstructures multilatérales. Les GAFA et BATX chinois font jeu égal avec les structures étatiques dans les rapports de force mondiaux au point se substituer ou de s’opposer à elles sans vergogne.
Des alliances se sont ainsi constituées sur une base d’intérêt local ou régional voire de connivence transversale pour modifier des équilibres en faveur de tel ou tel groupe de pression. Ces alliances non structurées comme hier par des réflexes collectifs nationaux sont souvent éphémères ou multispectrales avec des échanges de bons procédés à base financière, idéologique ou religieuse. Le jeu des possibles n’a jamais paru aussi ouvert. Aussi la lecture des rapports de force de la planète est-elle aujourd’hui très malaisée. Et le choix d’une posture favorable à ses intérêts impose une analyse préalable détaillée et une planification soignée.
Se faire respecter
On répètera une fois encore ce qu’est une posture favorable : celle qui permet de disposer autant que possible de son destin, de défendre ses intérêts, d’assumer ses valeurs, d’exercer ses responsabilités et de valoriser ses atouts. Pour cela, il est nécessaire de se faire respecter dans une planète mondialisée où l’interdépendance est la norme et la compétition de tous avec tous, la règle.
Pour imposer ses vues aux autres et maximiser l’effet de ses choix, il faut respecter quelques règles d’expérience.
D’abord, commencer par effectuer une analyse dialectique soignée de ses atouts et de ses fragilités. Quels sont les avantages comparatifs décisifs qu’il me faut préserver, consolider, valoriser ? Quelles sont les vulnérabilités qu’il me faut corriger, masquer et mettre hors de portée d’intentions malveillantes ? Cette démarche lucide essentielle est à entretenir au plus haut niveau de l’État en association étroite avec la représentation nationale. Ne pas être capable d’en dresser et d’en entretenir une perspective claire, c’est se condamner à « la tyrannie des circonstances ».
Pour se faire respecter, il faut d’abord faire preuve de lucidité.
Être lucide
Il faut aussi avoir une claire conscience de son environnement géopolitique. La longue expérience qu’a la France de son voisinage européen et méditerranéen lui permet de connaître les besoins vitaux de ses principaux partenaires et de promouvoir une forme positive d’interdépendance dans son espace vital. C’est faute de lucidité collective que la construction européenne a manqué sa cible pour conduire à un rapport de force délétère entre États, nations et peuples d’Europe.
Cette même expérience doit permettre à la France de mettre à leur juste place ses grands partenaires. Avec chacun d’entre eux, l’américain, le russe, le chinois, l’africain, il faut accepter les règles du jeu d’un rapport de force frictionnel. Mais il lui faut aussi ménager un canal supérieur d’intérêts communs ouvrant sur des jeux d’alliance et de compensations qui doivent coexister avec des rapports de force structurés. Comme aucune stratégie frontale ne peut être conduite seule, sans alliance, c’est à des stratégies semi-coopératives qu’il faut recourir de façon préférentielle. Enfin, il faut également s’assigner des objectifs de long terme, et les hiérarchiser, pour conduire des manœuvres offrant des gains maximums, tout en restant capables de jouer à l’affut des occasions.
Un rapport de force favorable ne se construit qu’à partir d’une analyse lucide et en référence à une expérience stratégique maîtrisée dans un voisinage donné.
Fragilités françaises
Mais il est bien difficile pour la France de se faire respecter par ses partenaires tant ses vulnérabilités sont importantes. Il lui faut donc d’abord satisfaire quelques préalables pour conduire le grand jeu des rapports de force. C’est d’abord le cas de l’ordre et de la sécurité publics qui ne sont pas assurés en France, c’est ensuite l’irréalisme de la formule d’Union européenne que soutient la France, c’est enfin l’impossible relance économique du pays. Trois domaines politiques que le maintien contre vents et marées de la capacité militaire de la France ne saurait compenser. Les rapports de force sociétaux, économiques, politiques caractérisent aujourd’hui mieux que les postures opérationnelles la capacité d’un pays à imposer ses vues et à défendre ses atouts.
Certes la France peut toujours s’essayer aux jeux de go, d’échec ou aux deals commerciaux mais ses vulnérabilités intrinsèques notoires pèseront plus lourd dans sa crédibilité stratégique et sa capacité à convaincre que ses moulinets juridiques ou ses déclarations d’intention altruistes.
C’est à une révolution dans l’art des frictions qu’il faut se préparer.
Elle invite à un sursaut de cohérence si l’on veut tirer bénéfice d’atouts qui restent importants et mobiliser une intelligence du monde qui reste grande dans notre pays mais qui reste maintenue en friche.
Stratégie : vacance ou vacuité ?
18 juillet 2018
Le récent sommet de l’Alliance atlantique n’a pas offert de vraies surprises ; il a montré de forts jeux d’acteurs pour masquer des impuissances difficiles à assumer. Le reclassement en cours dans la hiérarchie des puissances installées est douloureux pour les pays qui disposaient de l’atout suprême de pouvoir combiner vertu et force, leur donnant un avantage politique et moral décisif.
Ce temps semble révolu.
Mais derrière l’émotion ambiante, le bon sens stratégique s’est altéré.
Que sont les monstres froids devenus, ces États qui savent peser les risques et calculer pour choisir des stratégies adaptées à leurs intérêts ? Car l’Histoire continue, imperturbable. Qui ne voit le besoin d’autres balises et d’autres alliances pour cette planète en déshérence ?
Notons au passage qu’hier, pendant la Guerre froide, l’été était le temps des coups de force et des crises aigues. Aujourd’hui, c’est celui des coups fourrés et de la vacance de la gouvernance mondiale.
Faux semblants européens
La dérégulation de la conflictualité se poursuit et les masques tombent.
Les Conseils européens se succèdent, toujours plus déclaratifs que conclusifs. La question de l’immigration ruine l’autorité de la Chancelière. Le Brexit qui s’enlise mine celle de la Première britannique tant le Royaume-Uni hésite à prendre le large. Les Européens, plus divisés que jamais, sont en panne d’objectif politique et se préparent, faute de mieux, à unifier les Balkans occidentaux sous leur pavillon. Le Donald européen fait timidement la leçon au Donald américain et la marelle européenne continue avec une Commission sans autorité et un Parlement en fin de vie. Qui croira alors que l’UE est le modèle emblématique du XXIe siècle et l’outil qui façonne l’avenir de l’Europe ?
Les manœuvres bruxelloises se résument à constituer une équipe de relève acceptable.
Mais c’est peine perdue car en l’absence de projet commun assumé (quid de la puissance de l’UE, quid de ses frontières, quid de sa sécurité ?), on échafaude de simples coalitions d’intérêts économiques ou d’influence régionale. En Europe, faute de choisir, on gagne du temps : on sait bien que la formule d’Union imaginée en 1991 est inapplicable. Comme nulle part on ne cherche à se repenser autrement, on continuera donc jusqu’à l’absurde. Comme aucun Retex européen n’est possible, on s’enfermera dans le statu quo institutionnel et politique. Et comme à l’accoutumée, on se tournera vers les États-Unis pour chercher des encouragements, des arbitrages ou des parrainages utiles.
Et voilà qu’on découvre l’administration américaine installée dans un antagonisme revanchard et occupée à diviser les Européens, leurs partenaires de référence.
Certains espèrent encore, contre toute évidence, que les élections de mi-mandat vont nous débarrasser de cet importun qui n’assume plus le leadership d’un Occident rêvé et qui renvoie l’UE à ses faux semblants. On frissonne devant ses brutales injonctions à dédommager les Américains de leur supériorité militaire et on fait le gros dos devant ses menaces de ne plus assumer la défense européenne, voire de lui abandonner l’Otan.
Une Alliance sans alliés
Or chacun voit bien que cette Alliance qui fut décisive pour le monde libre n’a plus de sens ni d’utilité dans la planète mondialisée ; que les bons outils qu’elle a mis en place via l’Otan et notamment la planification de défense et l’interopérabilité des forces sont peu à peu devenus des moyens de pression industriels des États-Unis ; qu’ils pourraient aisément être repris par des Européens responsables ; que le débat sur les 2% à consacrer à la défense est une imposture ; qu’il traduit cette volonté américaine récurrente de dénationaliser les défenses de leurs alliés européens au nom du partage d’un fardeau militaire commun.
Mais contre qui ? Pour quoi faire ? Cet objectif budgétaire proposé à chaque pays de l’Otan n’est ni un impératif militaire ni une cotisation à payer pour l’article 5 de la défense collective, défense collective que D. Trump n’est pas certainement pas prêt à assumer. L’Otan regroupe des membres et des partenaires qui ne sont plus des alliés, faute d’ennemi et faute de vision commune, mais des compétiteurs.
Peut-on confondre les intérêts stratégiques et les responsabilités internationales des États-Unis et des 27 États de l’UE ? Faire comme si la puissance militaire américaine était une requête de l’UE alors qu’elle a entraîné les Européens dans des défis opérationnels sans issue, en Irak, en Afghanistan, au Levant ? Pourquoi UE et Otan seraient irrémédiablement liés ?
Alors, pour recimenter le tout, on défie sans relâche le compétiteur russe qui finit par se prêter au jeu malgré son choix affiché dès le 12 septembre 2001 de faire front commun avec l’Ouest d’alors contre le désordre du monde. On lance des opérations de couleur pour changer les régimes non complaisants ; on se presse de contenir et de contrer la Russie dans ses espaces périphériques ; on rouvre un front stratégique en Ukraine, au Levant, et maintenant en Arctique et en Mer noire ; on relance la question des flancs, celle de la Guerre froide quand le rideau de fer formait front… Cet anachronisme organise le retour à une nouvelle ligne de division stratégique au cœur du continent européen, … bien mauvaise nouvelle. Or les alliés riverains de l’Atlantique nord n’ont rien à craindre d’un retour militaire gagnant russe dans leur région. Ils y sont en position de supériorité militaire absolue, prééminence que ne conteste pas Moscou.
Constatons que l’Otan ne sert plus les intérêts européens, les enrôle dans une posture antagoniste avec la Russie et se prépare à les rançonner pour payer les entreprises militaires américaines. Comme toujours on camoufle cette réalité dans un communiqué fleuve et on célèbre la coopération exemplaire entre Otan et UE.
Une panne stratégique
Cette vacuité exposée ici depuis début 2018 a des conséquences de plus en plus visibles.
Un sentiment général d’inquiétude se répand partout autorisant des hebdomadaires grand public à titrer sur la prochaine attaque de l’Europe du Nord par la Russie. On voit même un pays sensé et averti comme la Suède emboiter le pas et se préparer à se réarmer ; des pays isolés comme l’Australie ou Singapour rechercher des appuis et de nouvelles diagonales stratégiques, comme celle que créerait un espace Indopacifique. Les vitrines de la force militaire, comme celle, récente, d’une marine chinoise affichant une cinquantaine d’unités rutilantes, font frissonner des rédactions complices et contribuent à alimenter cette idée d’une planète dangereuse incapable de régulation, en vraie panne stratégique.
Pourtant de multiples acteurs poursuivent sans désemparer leurs objectifs avec succès, moins soucieux d’un multilatéralisme de façade (UNESCO, COP, OMC, AIEA…) – celui même que récuse D. Trump – que de positions dominantes dans la compétition mondiale pour le contrôle des richesses. Le grand jeu se fait aujourd’hui ailleurs.
Dans ce paysage confus et ce temps de latence forcée, l’image de la France, que l’on assimilera un temps à son efficace équipe de football, paraîtra brouillée.
Faute d’une réussite qui tarde au plan de sa sécurité intérieure, faute d’une vision réaliste du potentiel résiduel de l’UE, faute d’un sage engagement médian entre des forces en conflit, elle apparaît comme opportuniste et sans vrai projet stratégique. Car une Otan plus forte n’est ni un facteur d’Europe ni la base de la paix régionale. Trump et Poutine pourraient aussi décider de se partager l’influence sur l’Europe.
Un noyau central dense
La France pourrait porter un projet alternatif d’équilibre stratégique dans sa tradition de puissance tierce et en lien avec sa position géostratégique avantageuse à l’extrémité du continent. Alors que bien des analystes ne voient que des risques de guerre ouverte, la France pourrait adopter une posture de sagesse stratégique :
- réassurer ses voisins,
- protéger, consolider les acquis européens et méditerranéens,
- favoriser la désescalade et réintégrer méthodiquement la Russie dans le concert européen.
L’analyse régulière dressée par La Vigie conclut de rapprocher sans naïveté la Russie du giron européen.
La continuité continentale est autant historique, culturelle que territoriale.
Nous ne pouvons accepter la reconstitution durable d’une fracture stratégique au cœur du continent européen, pas plus d’ailleurs qu’un mur entre les deux rives qui se font face en Méditerranée.
Ces approches décervelées minorent l’Europe. Il nous faut au rebours composer avec la Russie un fort noyau de stabilité stratégique pour la guerre commerciale totale qui s’annonce entre les États-Unis et la Chine dans les décennies à venir. Le balancement stratégique européen entre Moscou et Washington est inscrit dans l’histoire contemporaine. Il faut se placer au pointeau de leurs relations. La France doit aider à formuler une offre stratégique plus ouverte pour l’Europe, au profit des peuples de l’Atlantique à l’Oural.
Les Européens doivent reconfigurer leurs intérêts géostratégiques à la vraie donne géopolitique structurante du continent.
Craignons que des acteurs plus stratèges que nous, à Washington, Moscou ou Pékin, n’exploitent nos lacunes et nous enferment dans de coûteux et stériles jeux de rôle barrant la route au légitime projet stratégique européen.
La désescalade comme « grande stratégie »
28 février 2018
Dans le « terrain vague stratégique » actuel (LV 84), on n’hésite guère à s’invectiver, à se gausser, à se défier, pour mieux se mesurer, se repositionner ou se disculper. On n’hésite plus à se faire peur, à réactiver des alliances militaires d’hier, à se marquer aux frontières et à décider de se réarmer.
Finies les « bonnes manières » d’une guerre froide finissante régulée par un multilatéralisme huppé devenu connivence des nantis de la gouvernance globale. Elles ont cédé la place aux coups fourrés brutaux d’une mondialisation sans état d’âme qui a libéré des forces grises et donné des ailes à de multiples projets expansionnistes. L’effervescence inquiète qui en résulte, encore confinée dans les cercles spécialisés, crée une fièvre guerrière annonçant un nouvel épisode de guerre froide. Ainsi la récente Conférence de sécurité de Munich a pris sans barguigner la pose martiale. Les médias alimentent volontiers cette émotion inquiète pour en tirer profits et pouvoirs.
Les États, souvent dépossédés des leviers socio-économiques mais rappelés à l’ordre par de vieux peuples au cuir tenace, sont poussés à reprendre la main sécuritaire. Ils versent alors facilement dans l’alarmisme et réactivent des réflexes anciens. La raison politique reprend peu à peu le pas sur la raison économique (LV 88). Le monde développé que l’observateur pressent aussi divisé qu’impuissant se voit pourtant au bord du gouffre, aux affres de la guerre, de la guerre nucléaire, pour faire bon poids. Voilà ce qui se dit. Bien trop vite dit.
Chez nous, comme prévu, la plate Revue stratégique 2017 (LV 81) a débouché sur la Loi de Programmation militaire 2019/2025 qui selon l’usage va renvoyer au prochain quinquennat le coup de rein budgétaire.
Partout ailleurs, on semble sonner le tocsin, notamment aux confins russes de l’Europe et dans les espaces maritimes de l’Asie ; partout ailleurs on s’empresse de serrer les rangs. À Bruxelles, on croit l’heure venue de la reprise en main par les Européens de leur sécurité collective dans un monde rendu dangereux par des compétitions soutenues par de forts moyens militaires.
Une autre stratégie
C’est dans ce contexte anxiogène que la France se doit de déployer une autre stratégie, c’était le vœu du début d’année (LV 85). Elle pourrait ainsi endosser le rôle qui lui réussit de puissance d’équilibre et promouvoir d’abord la désescalade comme mode de régulation des tensions actuelles.
Précaution préalable, oublions ici la théorie de l’escalade produisant la destruction mutuelle assurée, la MAD flamboyante de la guerre froide, comme l’escalade pour la désescalade prêtée par les Américains aux Russes sans qu’il s’agisse d’une doctrine officielle ni même actuelle.
La France doit, selon nous, prendre l’initiative forte du bon sens stratégique qui impose la désescalade. Sortons le monde euro-atlantique de l’impasse dans laquelle il s’enlise avec un délice pervers sous la houlette d’une Otan que l’actuel climat de Guerre froide semble avoir réveillée.
La France peut – et donc doit – aujourd’hui se permettre ce réalisme et la retenue qu’il impose dans son espace stratégique. Mais pour retrouver l’épaisseur et la cohérence stratégiques et restaurer les marges de liberté d’action qui lui manquent tant, il lui faudra d’abord se désaligner et se désintoxiquer. Elle pourrait d’ailleurs trouver un partenaire de poids pour incarner avec elle un souci d’équilibre en l’Allemagne politiquement diminuée par le quatrième mandat de la Chancelière mais stratégiquement lucide et prudente.
Pour la France, il s’agit bien d’œuvrer à une désescalade des tensions du monde mais aussi d’opérer une désescalade, intérieure sur sa sécurité nationale et extérieure dans ses interventions stratégiques. Pour valider cette initiative, il suffit d’inventorier les secteurs où elle gagnerait à le faire.
Déréglage général et tensions accrues
On assiste en effet à une forte dégradation de la confiance internationale alors que la fin de l’histoire annoncée est surtout celle de la régulation issue de la Seconde Guerre mondiale et préservée ensuite tant bien que mal, on l’a suffisamment dit.
Ce que l’on s’obstine à appeler l’Occident a perdu le monopole de l’autorité et bradé la vertu stratégique. Le Brexit et l’ère Trump l’ont privé de consistance et donc de pertinence. Cette perte relative de contrôle des pays avancés et l’émergence de challengers plus décidés bouleverse la perspective et provoque cette vague d’inquiétude qui touche peu à peu leurs opinions publiques. Mais, notons-le, la France sans doute bien moins que d’autres, malgré le parti pris de ses médias.
Une autre grammaire stratégique. Elle s’est progressivement imposée dans les rapports de force du fait du dévoiement progressif des instruments de l’ancienne régulation opérée sous couvert de l’ONU. Et notamment du caractère sélectif ou impuissant de ses injonctions (Conseil de sécurité), de l’inefficacité relative de ses médiations (Envoyés spéciaux) et de ses interventions de paix (DOMP). À la fin de la Guerre froide, l’ONU n’a pu faire face.
La rumeur alarmiste. Elle était déjà latente mais elle fut relancée vivement par le débat nucléaire provoqué par la concomitance du prix Nobel de la paix 2017 (Ican, LV 79), de la démonstration nucléaire nord-coréenne et de la NPR américaine (LV 88). Elle s’alimente de fait au triple constat d’une gouvernance mondiale à la dérive, d’une forme de repli stratégique des États-Unis et d’un retour de puissance russe et chinois. Elle est dopée par une impossibilité de sortie de la guerre civile en Syrie avec de dangereuses proximités militaires entre Israël et Iran, États-Unis, Turquie et Russie (voir infra). Elle est amplifiée par les choix politiques suédois, ceux de l’Otan de renforcer sa structure de commandement et les propos militaires virils et couplés des ministres françaises et allemandes.
Nouvelle signalétique. C’est que depuis plus de 10 ans, la diplomatie de la paix et de la guerre et le continuum coopération / antagonisme se sont largement diversifiés. De puissants instruments se sont structurés comme outils et jauges des rapports de force et instruments de contrainte et de coercition, relativisant les coûteux systèmes d’armes militaires mais pas les procédés et tactiques de leurs mises en œuvre.
On les connaît bien. Ceux de la guerre de l’information : manipulations des réseaux sociaux, disqualifications, accusations mensongères campagnes médiatiques, techniques de changements de régime, de partitions ou d’occupations sans combats militaires, le tout sous couvert de légitimité ou de morale populaires (LV 62). Ceux de la guerre économique comme les pénalités l’extraterritorialité judiciaire, les pillages masqués, les inspections intrusives, les dés-exportations, les sanctions économiques…
De nouveaux indicateurs sont aussi venus occuper la scène stratégique et rénover la dialectique des tensions : « lignes rouges », « listes noires », organisations dites terroristes, discours à portée prophétique, dénonciations complotistes, déclarations agressives … Ces balises sont censées avoir des effets décisifs sur le terrain stratégique.
Les escalades de dénonciations juteuses et d’affrontements verbaux ont donc fini par discréditer le droit international et à en interdire l’application vertueuse. On en vient même à colmater les supposées brèches de la dissuasion nucléaire stratégique avec des mininukes (cf. LV 88) !
Le déréglage actuel semble si irréversible qu’il est illusoire de restaurer le système.
Prendre l’initiative de désescalader
C’est urgent. Mais pour ce faire, la France doit d’abord se mettre en retrait de nombre des engagements militants qu’elle avait pris pour préserver l’état d’organisation du monde ancien auquel elle avait contribué.
Pour renforcer sa capacité de médiation elle doit restaurer son exemplarité. Ce nécessaire désalignement autorisera un comportement d’écoute plus impartial.
- Cela vaut d’abord au Levant, mais aussi au Sahel, dans le Golfe arabo-persique où la France doit parler avec tous sans restriction et contribuer à la consolidation d’États viables.
- Cela vaut dans les choix à faire pour réduire le niveau d’armement de la planète où elle doit se montrer vraiment vertueuse et soucieuse d’équilibres, notamment en matière d’exportation d’armements et de décroissance nucléaire militaire.
- Cela vaut dans les enceintes grises où elle doit renoncer aux entreprises douteuses, aux côtés d’autres acteurs militaires couverts, comme en Libye et en Syrie.
- Cela vaut également dans les grands dossiers des Communs de la planète où elle doit sans manichéisme faciliter la satisfaction des besoins légitimes de tous, à commencer par ceux des moins nantis. Et cela concerne le suivi des Accords de Paris.
- Cela vaut en matière de communication où elle doit s’abstenir d’imprécations intempestives et de menaces punitives dans une lecture militante du droit.
Chacun a en tête des excès récents et des positions imprudentes.
Pour aller au centre du jeu, il faut une plus juste mesure.
C’est en combinant cette initiative avec une relance économique décisive du pays et l’entretien d’une capacité militaire avérée d’intimidation que la France défendra au mieux sa sécurité et ses intérêts tout en servant la paix et la sécurité internationale.
Pour ce dernier objectif, il y aura encore du chemin à parcourir pour faire rimer détente et harmonie ; mais la France pourrait là aussi être un jour bien placée pour y contribuer.
Code génétique stratégique
26 septembre 2018
On va ici tenter de s’approcher un peu plus d’une grande stratégie pour la France au début du XXIe siècle. La Vigie en a souvent traité même si la montée vers la dernière élection présidentielle fut décevante à cet égard, et même si après, on revint bien vite aux choses « sérieuses », budget et équipements militaires. On préfère généralement le « comment » au « pourquoi ».
La Vigie essaye en permanence (c’est là sa marque de fabrique) de rapporter les vulnérabilités de la France d’aujourd’hui à la conflictualité des temps actuels, dans ses dimensions géopolitiques, géoéconomiques, culturelles, techniques … Mais une fois ceci fait, elle en revient généralement à interroger la réalité du projet français, celui qui fonde le contrat social, celui qui exige cette grande stratégie, « globale, totale, intégrale » selon les bons auteurs. Or sa formulation est souvent jugée inutile car implicite par des législatures courtes pressées de remplir leur programme électoral. Ne suffit-il de déclarer simplement de vouloir conserver son être et préserver ses intérêts ? Alors, pour s’en libérer, on déclare des stratégies sectorielles et programmatiques, de préférence devant des auditoires spécialisés.
C’est de bon jeu. Mais cela n’épuise pas la question, loin de là, car c’est bien ce projet resté implicite qui légitime l’action politique et autorise les choix stratégiques. Or la mondialisation impose ses lois et ses codes, qui relativisent les acteurs nationaux et leurs relais étatiques. Elle banalise leurs spécificités pour enrôler les appareils dans sa marche d’homogénéisation la planète. Peut-on énoncer un projet français dans ce climat post-moderne ?
La panne stratégique structurelle (LV 98 bis) qui affecte tous les pays européens ruine de fait l’avenir de l’UE. Elle relève directement de cette tension sur le projet, illustre l’interminable transition stratégique du monde et interroge l’essence même de la démocratie.
Une crise qui vient de loin …
et pour les Européens, elle vient de la fin des guerres européennes et coloniales.
Jusque-là, les conflits résultaient de frictions entre projets nationaux en compétition dans le « vieux monde » et conduisaient à des guerres de leadership, d’appropriation de territoires et de richesses. En Europe, l’Autre stratégique était bien le voisin sur le continent ou outre-mer : la guerre était alors la composante privilégiée de la stratégie.
Une fois les leçons tirées des deux guerres mondiales du XXe siècle, une fois le repli colonial parachevé, la vision stratégique des pays européens s’est unifiée dans une résistance à la pression de l’URSS et à son modèle. La construction européenne a rendu sans doute irréversible le « plus jamais ça » des guerres intra-européennes mais elle a échoué à établir un projet supranational viable rendant superflues les stratégies nationales. Et le sentiment s’est diffusé que le voisin était devenu un partenaire fiable et que les frictions compétitives entre Européens se réguleraient au sein de l’UE.
À la fin de la guerre froide en 2003, l’UE s’est préoccupée d’une Stratégie de sécurité pour rassembler les préoccupations des États membres en compilant leurs Livres blancs, ce qui n’a pas suffi ni à arrêter la compétition économique ni à invalider des Livres blancs nationaux, la France la première (2008, 2013).
C’est que chacun des pays européens conserve son projet pour aborder à sa façon la mondialisation, ses risques et ses opportunités, projet qui lui est dicté par un code stratégique, quasiment génétique, qui lui est propre et auquel les peuples adhèrent généralement.
Du code génétique stratégique
Que mettre sous cette formule générique censée caractériser la personnalité stratégique des pays établis de la planète ? Assurément des éléments structurants, liés à leur histoire, géographie, culture, tempérament, leurs points forts et leurs vulnérabilités ; et des éléments conjoncturels, leur ambition, leur ressort vital, leurs élites et leurs débats internes.
Ainsi peut-on définir le code génétique stratégique comme une combinaison idoine de facteurs clés dont la hiérarchisation permet de fonder un projet national. Cette combinaison, qui peut évoluer, doit s’articuler sur le projet politique de l’exécutif élu et fonder le contrat public noué avec les citoyens qui lui ont majoritairement confié le soin de l’intérêt commun. Ses éléments clés sont les intérêts matériels et immatériels qu’il doit défendre, les valeurs et la mémoire qu’il doit assumer, les responsabilités qu’il doit exercer, les atouts qu’il doit s’efforcer de promouvoir, les vulnérabilités qu’il doit s’efforcer de réduire. Les citoyens électeurs doivent bien les percevoir pour les partager et les valider.
C’est la hiérarchisation de ces facteurs par l’exécutif qui constitue à un instant donné l’équation stratégique du pays, celle qui encadre son projet politique et suscite la grande stratégie qui en résulte. Deux conclusions s’imposent.
La première est une exigence : que cette équation et la stratégie qu’elle produit soient énoncées précisément au plus haut niveau de l’État et qu’elles agissent comme vrais régulateurs de tous les arbitrages que la direction du pays exige au jour le jour. Pour cela, il peut sembler utile qu’un organisme indépendant y pourvoie comme volant d’inertie stratégique du pays (un tel outil fut esquissé en France en 2008, sans aboutir).
La seconde est une évidence : comprendre que les 27 pays européens ont des équations distinctes et des récits nationaux différents qui expliquent la variété de leurs attitudes face à l’intégration européenne et à la mondialisation. Comment n’en serait-il pas ainsi après tant de siècles d’histoire ! La comparaison des équations stratégiques des pays européens n’aurait pas de mal à expliquer les fractures actuelles.
Des compétitions multiples et diffuses
Or à l’heure où la mondialisation semble refluer, la conflictualité semble se diversifier.
La mondialisation visait une mise en partage des ressources de la planète au profit de tous pour répondre à des besoins communs, alors que la conflictualité a résulté de tout temps de l’interaction violente entre des intérêts de groupes nationaux, multinationaux et aujourd’hui transnationaux. La première invite à une coopération de tous au bénéfice de tous quand la seconde conduit à des crises et des conflits de tous contre tous.
Là s’est forgé, on l’a dit (LV 100), le nouveau cercle vicieux cause de la précarité stratégique actuelle ; là sont aussi les vrais enjeux du reclassement en cours qui tarde à déboucher sur un ordre stable. Entre ces deux réalités peu conciliables, on note des biais, des manœuvres, des impasses et des déroutes. Certains pays européens s’en sortent assez bien mais beaucoup, sous la pression de peuples impatients ou têtus, renâclent à l’abandon de stratégies dérivées de leurs codes propres. C’est net à Londres, Rome, Varsovie, Budapest, Vienne … La réticence est forte.
Pour les en convaincre ou les y contraindre, se développe une pression continue de quelques-uns pour le contrôle de tous qui cible les opinions publiques rétives, celles qui fondent les légitimités politiques et mettent en mouvement les peuples, afin de contrôler voire d’enrôler les États. Mais une certaine idée de la démocratie et de la liberté continue de s’opposer à la réduction des États à de simples agents de la mondialisation socio-économique (LV 88).
Simultanément, hors d’Europe à Ankara, Moscou, Pékin ou Washington, des stratégies puissantes portent des projets nationaux forts et contradictoires à l’aide d’outils sophistiqués pour établir des rapports de force favorables (LV 98). Dans ce flux d’affirmation d’intérêts et de politiques de puissance, le Bruxelles de l’UE ne sait que s’aligner sur le Bruxelles de l’Otan puisque le code génétique propre de l’UE se limite à rendre impossibles les guerres entre États membres en leur offrant une prospérité partagée. Ce post-modernisme qui est aussi une forme de post-démocratie contraste avec l’affirmation brutale ou subtile des réalités américaines, chinoises ou ottomanes ou celle, masquée, des pouvoirs transversaux financiers ou religieux, mafieux ou criminels.
Telle est la contradiction qui s’est installée depuis la fin de la Guerre froide au cœur de la société internationale. Elle invalide le projet que porte l’UE, explique la panne stratégique des pays européens mais doit stimuler tous les pays capables d’énoncer un projet cohérent pour tirer parti de la mondialisation.
Un code stratégique français insuffisant
Curieusement, bien que le plus ancien État-nation d’Europe, la France n’a pas de code génétique établi pour orienter naturellement la boussole stratégique de ses projets et de ses compétitions.
Sa ligne de conduite politique, et donc ses engagements et leurs buts de guerre, sont bien souvent dictés par une simple vision légaliste du monde, une solidarité occidentale irréfléchie et une promotion européenne réflexe, et non par la défense de ses intérêts stratégiques et de puissance, la réduction de ses fragilités et la promotion de ses atouts.
La France semble trop souvent arqueboutée dans la défense d’un état d’organisation du monde périmé. Elle s’épuise à justifier la cohérence de sa posture, notamment européenne, faute de savoir hiérarchiser les paramètres de son équation stratégique. Et sa vision hautaine lui interdit bien souvent de tirer parti des ouvertures faites et des occasions à saisir. Un effort de conceptualisation et de recul lui serait salutaire pour sortir des impasses qui la réduisent à l’impuissance stratégique en Europe, au Levant et en Afrique.
Alors, puisque la sécurité et l’autorité du pays passent par la pertinence de ses engagements stratégiques, il faut permettre aux militaires de conserver toute leur place dans l’appréciation de ceux-ci. Les questions stratégiques concernent les militaires au premier chef. Leur participation active à l’analyse politico-stratégique d’un monde en transition laborieuse est plus que jamais requise.
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JDOK
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