Belle séquence diplomatique (LV 124)

Les sommets de chefs d’État servent souvent à peu de choses, sinon la mise en scène de l’entente supposée des dirigeants. C’est encore plus vrai des G7, habituellement. Pourtant, la fin d’été a vu une belle séquence diplomatique animée par le président Macron, qui a réussi à susciter une ouverture sur le dossier iranien et un accord sur la taxation des GAFA. Cela fut suivi par un discours aux ambassadeurs qui signale un changement de ligne et assurément un pragmatisme qui nous semble de bonne méthode

La Vigie a été suffisamment circonspecte, et même critique envers la politique étrangère de nos gouvernements pour qu’on lui accorde une certaine objectivité lorsqu’elle constate la belle séquence diplomatique que nous venons de connaître en cette fin de mois d’août. Force est de constater un double tournant, aussi bien sur le fond que sur la méthode.

Un changement perceptible

Beaucoup avaient cédé à l’abus de poudre aux yeux, facilité en cela par le cortège louangeur voire complaisant des commentateurs qui portaient aux nues le nouveau Talleyrand. L’inconvénient des flatteurs et des courtisans tient à leur manque de retenue et à l’excès de leurs compliments. Quand cela s’effectue autour du prince, cela ne gêne que l’entourage, mais quand les trompettes enflées sonorisent l’opinion publique, cela devient très vite lassant.

Ainsi n’avons-nous jamais suivi les experts patentés qui nous expliquaient doctement que la politique intérieure méritait d’être revue mais qu’au contraire, la politique extérieure était excellente : nous n’avons pas d’opinion sur la politique intérieure (ou plus exactement, le rôle de La Vigie n’est pas de vous les communiquer). En revanche, nous avons très tôt trouvé la politique étrangère marquée par l’amateurisme, des principes désuets et une mise en scène lourdaude.

Un G7 réussi. Si, si !

Bien sûr, nous sommes comme vous assez sceptiques envers l’utilité de ces grandes messes internationales : sommets des chefs d’État (OTAN, ONU), G multiples (G7, G20), conférences internationales de tout acabit (COP 21, 22, 23…) etc. La plupart du temps cependant, cela permet aux administrations et aux secrétariats de travailler de façon à aboutir à des « décisions » annoncées à grand fracas et justifiant la réunion des chefs d’Etat.

Paradoxalement, leur venue force les diplomaties à avancer alors que l’opinion courante verrait plutôt l’inverse : ils se rencontrent pour décider et ensuite, les diplomaties se mettent au travail. Dans cette perspectives, les chefs d‘État auraient la hauteur de vue et surtout le pouvoir de décision permettant des percées diplomatiques qui seraient impossibles autrement. Malheureusement, cette vision témoigne d’un monde passé et n’a plus vraiment cours aujourd’hui. La vacuité des résultats renforce l’importance de la déclamation des communiqués officiels.

La chose est pire encore avec le G7 puisqu’il ne dispose d’aucun secrétariat permanent, qu’il n’a pas d’objet réel (l’économie ? le politique ? le sort du monde ? la prospérité ? autre chose ?), qu’il n’est plus représentatif (les sept pays les plus riches ? les pays occidentaux ?) et qu’il pèse beaucoup moins sur la régulation mondiale qu’il a pu le faire (suite notamment à l’émergence et particulièrement de la Chine). Aussi regarde-t-on souvent cette réunion annuelle avec compassion.  Du dernier G7 au Canda on ne retint seulement que Donald Trump y critiqua la réunion par un tweet dans l’avion du retour qui dénonçait le communiqué sur lequel les sept chefs d’État s’étaient péniblement accordé, sans qu’il révolutionne le monde.

Aussi celui qui s’est tenu à Biarritz à la fin du mois d’août peut être regardé comme une réussite. N’y voyez pas une sorte de chauvinisme qui rendrait coûte que coûte honneur aux réalisations françaises. Mais force est de constater qu’il n’y eut pas de fausse note et que l’absence d’anicroche témoigne, paradoxalement, de la réussite d’un tel sommet. Dire cela semble anodin mais quand on regarde la façon dont Donald Trump traite ses alliés, le plus souvent avec grande rudesse, la bienveillance et le sourire montrés de sa part sont des bons signes, tout comme l’absence d’écart et d’éclat dont il a habitué le public mondial. Pourtant, il est en campagne électorale et ne perd d’habitude aucune occasion de profiter d’un événement international pour (au choix) flatter sa base électorale et provoquer ses adversaires politiques (qui tombent le plus souvent dans le panneau).

En fait, la seule polémique (inutile et nuisible) vint de France et justement du Pdt Macron, à propos des feux de forêt au Brésil : outre une affirmation peu fondée (non, l’Amazonie ne produit pas 20 % de l’oxygène mondial), vouloir l’attribuer exclusivement à M. Bolsonaro était inexact et assez provocateur. Le dirigeant brésilien encourt bien d’autres critiques pour qu’il ne soit pas nécessaire d’exagérer. Il reste que pour le coup, il fallait suivre l’air du temps et que l’écologie est à la mode, à l’intérieur comme à l’international. En ce sens, le président a cédé à ses penchants, seule fausse note d’une séquence réussie par ailleurs.

Quelques décisions utiles

Retenons en effet deux moments très bénéfiques. L’un concerne l’Iran. Avouons-le, lorsque nos écoutions depuis quatre mois la diplomatie française nous expliquer que M. Macron gardait le contact avec les dirigeants iraniens, nous y avons vu plus de la démonstration qu’un travail profond : nous reconnaissons ici que nous étions dans l’erreur, car ce dialogue a sans doute permis une sorte de percée à Biarritz : en y faisant venir M. Zarif, le ministre des affaires étrangères iranien (dans la même ville que le président américain qu’il ne rencontra toutefois pas), la diplomatie française a permis à M. Trump de dire qu’il pourrait, si bien sûr les conditions étaient réunies, rencontrer le dirigeant iranien, M. Rohani. Cela constitue incontestablement une percée diplomatique car elle entrouvre la voie du dialogue, après un été où les démonstrations de puissance s’étaient affrontées dans le golfe Persique (LV 123 bis). Autrement dit, M. Trump suit avec logique son programme électoral qui est celui du désengagement militaire : il veut déjà quitter l’Irak, pourquoi irait-il se fourvoyer dans un conflit avec l’Iran ? Il n’est pas grave à ses yeux de désavouer son conseiller John Bolton, va-t-en guerre devant l’éternel. Enfin, un deal élargi non seulement à la question nucléaire mais à la question des missiles lui permettrait de montrer ses talents de négociateurs. Le temps n’est pas venu mais après la montée des enchères, la table des négociations est désormais ouverte : en soi, c’est une percée.

L’autre avancée concerne la taxe sur les GAFA. La France avait pris une initiative unilatérale : elle est tombée d’accord avec le président américain pour rembourser d’éventuels trop-perçus par rapport à une régulation internationale en cours de discussion à l’OMC. Là, encore, la force d’initiative vient de Paris, sur un sujet extrêmement important car touchant au retour de souveraineté des Etats sur les puissances émergentes que sont les GAFA (et BATX, leurs équivalents chinois).

Le discours aux ambassadeurs

Chaque fin d’été voit le président prononcer un désormais traditionnel discours aux ambassadeurs rassemblés à Paris ((LV 100). C’est l’occasion d’affirmer les axes de la politique étrangère : l’exercice est curieux car il tient à la fois de la communication (avec donc des moments lénifiants et des incontournables pour lesquels on apprécie surtout les variations de style) et de l’énoncé de priorités qu’il faut peser au trébuchet, d’autant qu’elles sont souvent signifiées avec la subtilité qui sied aux diplomates. Malgré tout, c’est un discours intéressant même si souvent, il n’intéresse que les spécialistes.

Or, celui de cette année (ici) ne manqua pas de sel et peut être vu comme un véritable tournant. D’un mot, le président appela ses diplomates à faire preuve d’audace et surtout, il proposa un retour du dialogue avec la Russie. La chose avait été préparée discrètement lorsqu’il reçut M. Poutine à Brégançon, juste avant le G7 (on notera au passage que M. Trump évoqua l’idée de revenir à un G8, initiative qui a probablement été préparée à l’amont avec l’Élysée). Bref, ce fut un moment de stupeur parmi un certain nombre de grandes têtes du Quai d’Orsay, que l’on accuse de faire partie d’une « secte », celle des néo-conservateurs, autrement dit des faucons pro-américains.

Nous avons évoqué (LV 115) le rapport fantasmé de bien des décideurs français à l’Europe. Nous aurions pu écrire des pages similaires sur le rapport fantasmé des néo-cons à la puissance. Les deux écoles déplorent toutes deux une puissance diminuée de la France et imaginent chercher ailleurs des relais, ici en Europe, là en Amérique. Or, l’alignement est délétère.

Voie ou fantasme ? Tournant…

Peut-être le Pdt Macron en a-t-il pris conscience, peut-être ce discours aux ambassadeurs l’a-t-il manifesté, évolution possible de la part d’un homme jeune et volontaire. Cela indique une évolution du rapport à l’Europe mais aussi à l’équilibre du monde. Il est bien tôt pour évaluer les chances de ce reset, troisième voie (troisième fantasme ?) souvent tentée par les dirigeants français, rarement mise en œuvre de façon convaincante. Pour l’heure, constatons la qualité de la séquence (donnons en crédit aux services de M. Le Drian dont le discours complémentaire mérite également d’être vu, ici). Elle signifie incontestablement un changement. Cela n’augure pas forcément d’une réussite, au moins de la volonté de changer de méthode, d’essayer autre chose, plus en face avec le monde tel qu’il se présente à nos yeux. Il s’agit, au sens premier, de pragmatisme qui laisse de côté les approches un peu idéologiques. Un retour aux fondements de la diplomatie, en quelque sorte.

Pour lire l’autre billet du 124, Du bon pied, cliquez ici.

JDOK