Actualité aérienne

A la suite de la guerre d’Ukraine, Le salon du Bourget est l’occasion de revenir sur quelques points de l’actualité aérienne : aussi bien les leçons tactiques et stratégiques que les dimensions techniques et les enjeux programmatiques et industriels.

Le salon du Bourget se tient à Paris pour la première fois depuis quatre ans. À la suite de la guerre d’Ukraine, il est l’occasion de revenir sur quelques points de l’actualité aérienne : aussi bien les leçons tactiques et stratégiques que les dimensions techniques et les enjeux programmatiques et industriels. Nous reportons la dimension spatiale à un prochain billet (le lecteur pouvant relire ce que nous avions déjà dit, cf. LV 149).

Leçons d’Ukraine

Au déclenchement de la guerre d’Ukraine, beaucoup s’attendaient à ce que la supériorité aérienne russe (350 appareils contre 140 sur le papier) soit un élément majeur du conflit. Or, il n’en a rien été. L’armée de l’air russe (VKS) ne réussit pas alors à conquérir la suprématie aérienne ni surtout à couvrir les axes d’engagement au sol. De même les observateurs ont eu le sentiment qu’il n’y avait pas de coordination entre la VKS et les troupes au sol.

L’armée de l’air ukrainienne a réussi à se disperser et malgré le désavantage quantitatif, à effectuer un certain nombre de sorties chaque jour, bien que rarement dans la profondeur et souvent à basse altitude. Dans la 2ème phase de la guerre (retrait russe des pourtours de Kiev et du nord du pays), la défense sol-air (DSA) ukrainienne s’est réarticulée. Les Russes frappent alors dans la profondeur (armements à longue portée) et appuient les actions dans le Donbass et à Marioupol, mais sans grande efficacité.

Au cours de la 3ème phase de la guerre (offensives ukrainiennes de Kherson et Izioum), la VKS est silencieuse. Elle entre peu en jeu dans la 4ème phase, celle de la bataille de Bakhmout (ce qui est assez logique). En revanche, au début de la 5ème phase (contre-offensive ukrainienne lancée début juin 2023), l’aviation russe est cette fois plus présente et efficace en appui air-sol (moins d’élongation, meilleure météo).

Car voici la principale leçon de la guerre d’Ukraine : alors que la doctrine de l’Air Power (cf. LV 180) suppose une domination aérienne avant de conduire les opérations au sol, les belligérants ont agi différemment, comme si les menaces aériennes n’existaient pas. Ce fut vrai des Russes dans la première phase de l’offensive, mais aussi des Ukrainiens au début de leur contre-offensive, engagée sans moyens de DSA multicouche. Il est vrai qu’au cours de l’hiver 2022-2023, les Russes avaient lancé une campagne de frappes dans la profondeur, d’abord contre le réseau électrique ukrainien puis contres des cibles plus militaires, forçant les Ukrainiens à répartir leurs moyens anti-aériens autour des points sensibles. Ainsi, cette guerre n’a-t-elle pas connu de combats aériens et peu de vols reconnaissance mais en revanche beaucoup de missions de bombardement (suppression des défense aériennes, destruction des centres tactiques) et d’appui air-sol.

Cette pratique est-elle généralisable ? Nous sommes loin en tout cas des habitudes occidentales (guerre du Golfe, campagne d’Irak, d’Afghanistan, de Libye) où la suprématie aérienne était de mise et relevait au fond d’une dissymétrie stratégique. En situation de relative symétrie aérienne, les choses apparaissent beaucoup plus compliquées.

D’autant que force est de constater la question des stocks de munitions (cf. billet MCO) mais aussi la multiplication d’engins volants de toute sorte (outre les avions classiques, notons les hélicoptères d’attaque mais aussi les drones de toute sorte et des munitions téléopérées [MTO]) et même d’effecteurs proprement dits : missiles classiques plus ou moins manœuvrant, drones de longue portée, bombes glissantes.

Quelle place faite à la technologie ?

Si bien sûr la guerre d’Ukraine est contingente et ne dit rien des conflits futurs, elle pose malgré tout la question de la technologie face à la masse. Désormais, le rapport de force ne se compte plus simplement en nombre de cellules mais aussi d’opérateurs qualifiées. Par ailleurs, la multiplication des objets low cost densifie un champ de bataille aérien et complexifie grandement la maîtrise des espaces aériens. Cela induit logiquement deux tendances : augmenter la connaissance de la situation aérienne en couches multiples, du plus près au plus distant ; exploiter soi-même l’ensemble des nouvelles capacités de l’évolution technologique sans attendre des développements capacitaires trop longs.

La première réponse passe par un développement du renseignement spatial mais aussi par la densification de radars sol-air et de systèmes redondants de défense aérienne multicouches, secteur qui a été fortement négligé par les armées européennes ces dernières décennies. Il s’agit aussi d’intégrer les diverses capacités dans un ensemble C4I cohérent qui puisse agir comme un levier. La seconde réponse passe par le combat collaboratif. C’est tout le sens du SCAF, projet de Système de Combat Aérien du Futur. Si beaucoup s’intéressent à sa composante pilotée (le NGF), l’essentiel ne réside pourtant pas là mais dans le réseau de drones accompagnants le NGF et démultipliant sa puissance. Il est évident qu’un tel « système de systèmes » pose énormément de questions, notamment sur la capacité de bien le contrôler. Dès lors, il y aura beaucoup d’automatismes et de calculateurs embarqués, à base d’intelligence artificielle et de très haute technologie.

Mais simultanément l’Ukraine montre aussi à quel point des technologies civiles peuvent être rapidement détournées en objets militaires. Si beaucoup pensent aux drones de contact (micro et mini-drones, voire drones médians), on doit s’intéresser au système de commandement agile mis en place par les Ukrainiens en utilisant la constellation satellitaire civile Starlink.

Autre évolution perceptible, celle de l’évolution de l’aviation de transport qui peu à peu (dès l’Afghanistan) se transforme en cellule porteuses d’effecteurs : soit de drones ou de MTO, soit directement de missiles. Peut-on imaginer bientôt d’adapter des machines civiles pour les faire contrôler à distance de telles armes devenues plus autonomes ? La frontière entre transport et bombardement n’est-elle pas en train de s’estomper ?

Enfin, la technologie n’est pas un tout et repose sur des hommes, aussi bien les pilotes et opérateurs que les personnels au sol chargés d’accompagner la mise en œuvre. L’entraînement individuel et collectif constitue la principale lacune militaire russe.

Le dernier débat est celui des opérations Multi-milieux, multi-champ (M2MC, version française des MDO américaines, cf. LV 163), autrement dit celui de l’intégration entre composantes de milieux de combat. Il va au-delà de la simple question de l’aéroterrestre ou de l’aéronaval. Désormais, les manœuvres doivent être intégrées et le combat collaboratif ne s’entend pas simplement à l’intérieur d’un milieu avec appui éventuel des autres (même si c’en est le préalable) mais avec une intégration plus forte entre milieux. Les évolutions annoncées (LPM) en France en matière de défense sol-air multicouches vont dans la bonne direction, à tout le moins entre air et terre : c’est probablement une des leçons les plus directes tirées du conflit ukrainien.

Budget et industrie

Le projet de loi de programmation militaire (LPM, cf. LV 219) suit son cours parlementaire mais ses grandes orientations sont connues. L’armée de l’air et de l’espace (AAE) n’aura finalement que 178 Rafale (avec ceux de la MN) en 2030 au lieu de 225 espérés, 48 Mirage 200D rénovés au lieu de 55, seulement « plus de 35 » A 400 M et non 53 espérés. Cependant, le poursuite des travaux sur le SCAF, le missile AS4NG, les 12 batteries de SAMP-T ou encore de vrais volumes de munitions mais aussi la préparation et l’entraînement (passage de 147 à 180 h de vol pour les pilotes de chasse, de 189 à 320 pour ceux de transport) montrent les aspects positifs de cette LPM, avec des efforts dans des domaines moins visibles que le simple nombre de machines. Plus de cohérence, disions-nous.

Dans le domaine industriel, le chasseur américain F35 poursuit sa réussite commerciale, malgré ses performances toujours décevantes. 950 avions ont déjà été livrés mais aucun n’est réellement opérationnel. Sans détailler ses nombreuses difficultés, constatons que des ambitions technologiques démesurées entraînent un manque excessif de fiabilité. Pendant ce temps, le Rafale continue sa carrière. L’avion qui a démontré son opérationnalité (lui !), est performant et n’est pas trop cher, sachant qu’il continue d’évoluer : Le standard F4 est en cours de développement et devrait être livré en 2025 tandis que Dassault a annoncé un standard F5, pierre de touche du combat collaboratif du futur SCAF. Au fond, Dassault prépare une alternative en cas d’échec du programme franco-allemand.

Simultanément, de nombreux travaux ont lieu, notamment sur les drones : outre les grands programmes, la DGA a lancé des initiatives rapides de MTO (drones tueurs) à courte (projet Larinae, par Nexter et Delair) et très courte portée (Colibri, porté par MBDA et Novadem). Au Bourget, Turgis et Gaillard (ETI française) présentent l’Aarok, drone de combat low cost développé sur fonds propres, concurrent direct du Reaper ou de l’Eurodrone.

L’observateur regardera également la question des solutions de détection avancée destinés à remplacer les AWACS : si l’américain E7 (Boeing et Raytheon) pose un standard anglo-saxon, le suédois Global Eye (Saab) pourrait constituer une alternative européenne fort intéressante.

JOCVP

Pour lire l’autre article du LV 220, Chantier stratégique actuel, cliquez ici