2021 : Perspective trouble (LV 158)
2021 verra une lente sortie de crise, aussi bien sanitaire qu’économique. Elle confirmera la demande de politique et les faibles réponses idéologiques ; les fronts de sécurité seront toujours aussi divers. Le nouveau président américain J. Biden donnera un nouveau style mais poursuivra la tension avec la Chine, ce qui demeurera la principale tendance géopolitique. En France, outre la gestion de la crise, l’année s’orientera peu à peu vers la préparation de la présidentielle, ce qui nécessitera nombre de précisions sur notre posture stratégique.
Le lecteur a sûrement reçu, comme nous, des vœux qui lui souhaitaient une année 2021 meilleure que 2020. Il était fait référence à la pandémie et à ses séquelles, qu’il s’agisse de décès dans le pire des cas, mais aussi de maladies, de confinement, de restrictions diverses, de panne économique et de chômage. Sans vouloir qualifier 2021, il est probable que nous verrons une lente sortie de crise, aussi bien sur le plan sanitaire qu’économique. Mais c’est peut-être la seule chose assurée, tant la perspective reste trouble, ce qui ne signifie pas qu’il y a des troubles en perspective. Identifions cependant quelques points de repère.
Le primat du politique
2021 verra s’accroître une tendance observée depuis plusieurs années, celle du primat du politique sur l’économique (LV 88). Après plusieurs décennies où les vents dominants avaient privilégié la rationalité économique et ses traductions qu’étaient le libre-échange, la dérégulation et la mondialisation, nous observons des correctifs nombreux. Ainsi peuvent s’analyser les deux chocs politiques du Brexit et de l’élection de D. Trump en 2016, ou plus récemment l’émergence de visions privilégiant l’identité et la protection (malgré les accusations de populisme ou d’illibéralisme).
De même, c’est une logique politique qui a prévalu quand le président français a décidé de réagir à la pandémie « quoiqu’il en coûte » : le suivi des critères de Maastricht, autrefois obsédants, est suspendu. Dernier indice, la volonté de reprendre le pas sur les puissances privées émergentes, celles du numérique (cf. LV 157). Il s’ensuit un débat de fond qui n’est pas tranché. Il oppose ceux voyant la fin des territoires ou même l’intersocialité (Bertrand Badie) comme des tendances de fond mettant fin à la vision réaliste des relations internationales centrée sur l’État ; et ceux qui voient au contraire, paradoxalement, un retour du politique après les déceptions induites par la « fin de l’histoire ». À La Vigie, nous sommes plutôt du côté des seconds, observant les recentrages nationaux qui cependant ne sont pas des retours en arrière mais plutôt des adaptations au monde corrélé du moment.
Absence d’idéologie
Pour autant, ce retour du politique s’accompagne de l’absence d’idéologie, distinguant ce XXIe siècle de son prédécesseur. La division en deux camps entre marxisme et libéralisme est disparue. Car le monde bipolaire, avant d’être géopolitique, était fondée sur une lutte idéologique. Celle-ci n’est plus. Aussi le retour au politique est-il tâtonnant. Cela explique la tentation des hommes forts (LV 113) qui, à défaut de conception claire, reviennent à des rapports de force à l’ancienne, faute d’élaborer des perspectives construites. Cela s’observe également sur la scène intérieure où le théâtre de la communication comme des extrêmes tient lieu de joute politique (LV 147). Le hiatus béant entre le désir de politique et l’absence de réponse idéologique est gros de dangers.
La déception est là en effet : souvenez-vous de la crise des Gilets jaunes en France ou encore de l’insatisfaction générale quant à la gestion des masques, puis des tests et maintenant des vaccins. Les peuples peuvent se mettre en mouvement (LV 130) manifestant un désir politique autant que social. Plus on tarde à construire une réponse politique tenant compte aussi bien de la planétisation et du besoin de sécurité, plus les évolutions seront abruptes.
Fronts de sécurité
Car le besoin de sécurité s’affirme. Il s’agit de sécurité économique tout d’abord. La crise pandémique sera aussi une crise économique, pour l’instant absorbée par des endettements massifs. Ils suscitent l’inquiétude tant le monde financier paraît incontrôlé et déséquilibré. Les conditions ne ressemblent-elles pas à celles de 2008 ?
Besoin de sécurité sociale également. Chacun connaît la théorie de la France périphérique qui explique en grande partie la crise des Gilets Jaunes. J. Fourquet (L’archipel français) évoque quant à lui une société archipélisée où la mise en commun est délaissée par les élites. J.-C. Guilluy (No society) observe la fin de la classe moyenne occidentale.
Malgré le discours dominant, le besoin de sécurité écologique n’est pas partagé par tous. Il en est de même du besoin de sécurité numérique qui reste l’affaire de spécialistes. Or voici deux domaines qui nécessitent des actions à la fois nationales et internationalement coordonnées.
Dernier front, celui de la sécurité intérieure, multiforme. En France, on pense bien sûr d’abord au terrorisme ou encore aux multiples incivilités. Observer ce qui se passe ailleurs permet de percevoir des besoins criants. Ainsi, en 2017, il y a eu 64.000 homicides au Brésil, un rythme plus meurtrier qu’en Syrie où la guerre civile faisait rage (LV 104). Le Mexique a connu 35.000 homicides en 2019 pour un pays de 127 Mh. Le Nigeria, 64.000 homicides (2016) pour 186 Mh. Ainsi la sécurité intérieure constitue-t-elle le principal défi de beaucoup d’États. Elle est beaucoup plus radicale que les guerres et conflits armés qui persistent en Afrique ou en Asie.
Le front de la sécurité extérieure paraît alors relativisé, du moins en Europe. Certains évoquent une montée des tensions. Nous observons pour notre part une persistance des risques, plutôt centrés à notre sud (Méditerranée et Proche-Orient). Décider stratégiquement devra composer avec ces grandes tendances pluriannuelles.
Tendances de 2021
À plus court terme et en centrant l’attention sur 2021, l’année sera d’abord marquée par l’entrée en fonction de J. Biden. Nul doute que la nouvelle direction américaine amendera le style de son prédécesseur. Pourtant, les principes devraient demeurer globalement structurés par la rivalité économique avec la Chine. Rappelons que D. Trump a augmenté de 25 % les taxes sur les produits chinois. Certes, la Chine semble être sortie en bonne forme de la crise sanitaire et elle aurait repris sa croissance économique à haut rendement ; cependant, des esprits sceptiques dénoncent des chiffres manipulés et des inquiétudes domestiques qui expliqueraient le raidissement de Xi Jinping. Il reste que la tension entre ces deux puissances sera encore l’affaire principale de cette nouvelle année. Du point de vue européen, il conviendra de préciser notre positionnement en la matière. La signature récente d’un accord de principe sur les investissements semble suggérer une réelle liberté d’action européenne. Il reste que très vite, la pression américaine jouera en faveur de la constitution d’un front commun contre Pékin. Il faudra ici examiner avec attention l’évolution de l’Alliance qui pourrait être le véhicule de cette approche. Le récent rapport d’experts ouvre la porte à une telle voie et la publication prochaine d’un nouveau concept stratégique permettra d’y voir plus clair.
L’Union européenne a finalement assez bien négocié l’année 2020, avec un accord budgétaire important (LV 148) et une négociation fructueuse sur le Brexit. Les différends demeurent cependant entre une Europe de l’Est rétive à l’intégration, une Europe « vertueuse » privilégiant la maîtrise des budgets, une Europe méditerranéenne inquiétée par l’immigration et la panne économique et une Allemagne centrale et hésitant sur la voie à suivre : la succession d’Angela Merkel (législatives en Allemagne en septembre) sera déterminante.
Au sud, plusieurs fronts enchâssés mériteront l’attention : la Méditerranée orientale (mais aussi l’évolution turque), la suite du guêpier libyen, la stabilité algérienne bien incertaine, la bande sahélo-saharienne toujours très instable et une Afrique noire en gestation (Nigeria, RDC, RCA, Soudan du sud, Éthiopie, Somalie).
2021 verra également plusieurs échéances électorales : régionales en France, municipales au Royaume-Uni et législatives en Écosse en mai, peut-être des législatives en Algérie. En France, la campagne pour l’élection présidentielle de 2022 commencera à se mettre en place (La Vigie apportera sa contribution au débat stratégique).
Et la France ?
Elle a plutôt bien amorti la crise sanitaire et la crise économique associée. 2021 devrait voir à la fois un rebond économique et de nombreuses faillites d’entreprises artificiellement préservées par les fonds gouvernementaux. Peu à peu, la vaccination générale permettra un retour à la normalité sociale, condition indispensable pour repartir de l’avant et prononcer à nouveau le mot de progrès. L’attente populaire sera forte et la proximité de l’échéance présidentielle devrait favoriser les débats. Ceux-ci s’orienteront sur la remise à plat du pacte national et surtout sur la fixation des objectifs communs pour les cinq à dix prochaines années : la démarche n’est pas que politique, elle est également stratégique. En effet, il conviendra de répondre à la fois aux exigences de sécurité intérieure et de réordonnancement de l’action commune, à la fixation d’un nouveau cadre économique, aux impératifs écologiques et cybernétiques. Il faudra de même fixer non seulement les objectifs de politique étrangère (la plupart ont été dressés dans un récent discours, cf. LV 155), mais aussi la façon de les mettre en œuvre qui peine aujourd’hui à convaincre. Il faudra enfin préciser la posture de l’outil militaire dont nous avons besoin pour demain et qui se traduira par la prochaine loi de programmation, prévue pour 2025 (mais avec déjà un premier rendez-vous en 2023 fonction du résultat de la présidentielle). Il faudra enfin décider en 2021 du sort de Barkhane.
C’est sur ce vaste programme que nous vous adressons nos meilleurs vœux pour 2021.
JOCV
Pour lire l’autre article du 158, « Nouvelles d’Australie« , cliquez ici
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