18 mois de politique étrangère de la France (LV 107)

Le président E. Macron avait inscrit deux mots au programme de sa politique étrangère : Europe et pragmatisme. Au rayon du pragmatisme, on observe une discrétion bienvenue au Proche-Orient, l’absence de dessein au sud, la promotion peu convaincante d’une grande stratégie asiatique, une politique américaine fourvoyée. S’agissant de l’Europe, malgré de grandes ambitions fondées sur un logiciel ancien, les résultats sont très décevants. Ceci explique probablement cela.

Près de dix-huit mois après l’élection du président Macron, il est temps de faire le bilan de sa politique étrangère. Il n’avait guère été loquace sur la question au cours d’une campagne électorale confuse, mais on avait retenu deux mots : pragmatisme et Europe. Ils devaient inspirer un nouveau cours extérieur, la jeunesse du président garantissant une « relance » : une sorte de troisième voie entre les atlantistes d’un côté, les gaullo-mitterrandiens de l’autre, clivage qui avait alors suscité un vif débat entre spécialistes. Force est de constater l’échec assez patent de cette ambition. Est-il dû aux circonstances ou à une erreur profonde de diagnostic, de méthode, de finalité ? Examinons la chose.

L’Europe, l’Europe, l’Europe…

Macron fut le seul candidat à tenir une ligne pro-européenne. L’argument en est connu : face à la mondialisation, l’unique manière de tenir son rang dans le monde passerait par la construction d’un ensemble assez grand et assez riche pour peser, d’autant plus que nous bénéficions de décennies de construction européenne et donc d’un outil, l’UE, déjà consistant.

Il fallait donc aller plus loin et plus fort.

Macron reconduisait là le vieux fantasme des élites françaises, celle du multiplicateur de puissance. Il partait du constat du déclin relatif du pays (le président Giscard n’affirma-t-il pas dans les années 1970 que la France était une puissance moyenne !) et donc de la recherche d’un succédané pour conserver de l’influence. Cela valait bien quelques transferts de souveraineté, pourvu qu’on ait un effet de levier. Ce raisonnement pouvait avoir du sens au temps de la mondialisation heureuse et triomphante. Dix ans après la crise de 2008, l’année suivant l’élection de D. Trump et alors que le réveil populaire se répand de par le monde, il semblait tant anachronique qu’il motiva tous les autres candidats à être plus circonspects. E. Macron, lui, resta droit dans ses bottes européennes. Or, il fut élu.

Pragmatisme et profil bas proche-oriental

En contrepoint de cette ligne doctrinale, « en même temps », E. Macron voulut montrer du pragmatisme qui se voulait réalisme. Ainsi le vit-on abandonner la ligne dure de son prédécesseur en Syrie : cela ne signifia pas un retournement de position ou une discussion avec le gouvernement de B. el Assad, mais au moins la sortie du front des durs et la cessation des déclarations hostiles et sans effet. Il reste que la France (et l’ensemble des puissances européennes et américaines) étaient déjà sorties du jeu.

Au Proche- et au Moyen-Orient, la France prit une position plus discrète, n’intervenant auprès du roi Ben Salmane qu’à l’occasion de l’affaire du premier ministre libanais Hariri, retenu contre son gré à Riyad. Il faut ici saluer le voyage effectué dans l’urgence par le président français qui a probablement pesé efficacement. Mais la France resta très discrète lors de l’affaire Kashoggi, ce journaliste saoudien assassiné par les services du Royaume dans son consulat en Turquie. Voici donc un profil bas qui change agréablement avec la position moralisatrice adoptée par l’équipe précédente. On peut y voir un apaisement diplomatique conçu pour regagner une influence discrète mais peut-être plus efficace que les rodomontades usuelles. La ligne semble être de préserver les affaires commerciales, expliquant le silence sur la catastrophique guerre au Yémen. On constate la même passivité pour le Maghreb ou l’Afrique, malgré des discours convenus. Le Sud, grand absent de notre politique extérieure actuelle !

Changement de ton russe

Plus habile fut le retour des conversations avec la Russie de Vladimir Poutine (LV 106). Elles furent permises par de multiples entrevues : visites de M. Macron en Russie (notamment grâce à la coupe du monde de football), ou de V. Poutine en France (rencontre de Versailles, centenaire de l’armistice). Autant de conversations, plus policées que les balourdes rustreries de F. Hollande, mais sans grand effet non plus. Si la France n’appuya que du bout des lèvres les condamnations de ses alliés lors de l’affaire Skripal, elle maintint les sanctions contre Moscou. Enfin, le « format de Normandie » pour régler la question ukrainienne est resté au point mort, la faute il est vrai à l’absence de réforme à Kiev.

Autrement dit, si les choses se passent plus diplomatiquement, ce qui convient au Kremlin (LV 68), on n’assiste pas à un changement de cours ni à la recherche d’un nouveau dialogue paneuropéen : en ce sens, E. Macron est resté très conservateur. Probablement se tempère-t-il en ce point pour satisfaire le point moyen européen, dans le cadre de sa relance continentale.

Un dessein extrême-oriental ?

La nouveauté de la politique étrangère réside peut-être ailleurs : dans la volonté de créer une nouvelle stratégie asiatique. Ainsi a-t-on vu la promotion d’un partenariat stratégique avec l’Inde, un autre avec l’Australie, le tout servi par des contrats d’armement qu’on espère structurants. Pourtant, il faut s’interroger sur le sens réel de cette politique, d’autant que ces partenariats restent assez distants. Ni l’Inde ni l’Australie ne donnent l’impression de vouloir établir un « axe » géostratégique Paris-Canberra-Pékin ». Le partenariat signé semble bien théorique à leurs yeux : constatons qu’il l’est aussi pour la France.

On s’interroge en effet : s’agit-il d’appuyer des positions déjà tenues dans chacune des zones ? Alors, il s’agirait dans un cas de la moitié occidentale de l’océan Indien (La Réunion, Djibouti, É.A.U.), de l’autre d’un point d’appui vers les territoires français d’Océanie (Nouvelle-Calédonie, Polynésie) (LV 82). Mais on a plutôt l’impression qu’il s’agit d’avoir une politique « chinoise » dont on ne voit pas très bien la dynamique. L’élongation est au-dessus de nos capacités et surtout, personne n’attend la France dans la région. Autrement dit, la doctrine américaine du pivotement vers l’Asie paraît inadaptée à notre politique extérieure.

Méprise américaine

Envers les États-Unis, E. Macron a dû se payer de mots. Il a en effet entretenu des relations cordiales avec son alter ego : celui-ci fut en effet bluffé par le toupet politique du Français, séduit par le défilé sur les Champs-Élysées, charmé par son épouse. Ces réactions mondaines n’ont pourtant pas affecté la politique du 45ème POTUS. On s’en est aperçu lors du voyage effectué par le président français à Washington : étourdi par la standing ovation reçue au Congrès, il crut avoir influencé D. Trump. Mais celui-ci demeura inflexible sur tous les pans de sa politique et notamment sur la question du JCPOA, l’accord nucléaire signé avec l’Iran et qu’il avait dénoncé. Les relations se sont donc refroidies comme en témoignent les tweets postés par le président américain lors de son voyage à Paris le 11 novembre 2018.

Voici donc E. Macron revenu à la position initiale, celle de tous ses compères européens : une dissension profonde avec l’actuel président américain, la poursuite de la collaboration avec l’établissement de Washington et le retour aux vieilles pistes et connivences transatlantiques : bien loin d’un nouveau cours.

L’Europe, donc ?

Entre discrétion et déception, le pragmatisme n’a pas vraiment convaincu. Reste l’Europe. Le succès n’est pas non plus au rendez-vous. L’ambition avait pourtant été bellement affirmée lors d’un précoce discours de la Sorbonne (lien), prononcé dès septembre 2017 Le mythe de la multiplication de puissance était répété : « les digues derrières lesquelles l’Europe pouvait s’épanouir ont disparu. La voici aujourd’hui plus fragile, exposée aux bourrasques de la mondialisation telle qu’elle va ». Dès lors, « la seule voie qui assure notre avenir, (…) c’est la refondation d’une Europe souveraine, unie et démocratique ». Six clefs furent énoncées (sécurité, frontières, développement, écologie, numérique, économie). Las !

On considéra que le Brexit était finalement une chance : comme si la panne d’Europe était exclusivement due aux Anglais ! On imagina relancer « l’Europe de la défense », reprenant les mêmes vieilles recettes inefficaces depuis vingt ans ; on voulut opposer progressisme et populisme, donnant des leçons à des gouvernements européens déviants, ce qui ne fut pas la meilleure manière de promouvoir une idée européenne assoupie qui ne fait plus recette.

Surtout, on s’imagina relancer un nouveau cours avec l’Allemagne. Mais celle-ci, nous l’avons dit (LV 103), poursuit surtout ses propres intérêts géopolitiques qui ne voient l’Europe d’abord que comme un moyen : la multiplication de puissance se fait au profit exclusif de l’Allemagne, ce que Paris se refuse à voir. De plus, la situation politique allemande est aussi confuse que la française et personne n’est prêt, outre-Rhin, à pousser les feux d’une intégration européenne.

Pire, on entend des rumeurs de partage de l’arme nucléaire ou du siège permanent au Conseil de Sécurité, rumeurs mollement démenties à l’Élysée. À la poursuite d’une chimère, va-t-on brader les derniers bijoux de la couronne ?

À la recherche d’un monde perdu

En fait, tout se passe comme si le président vivait toujours il y a vingt ans, en 1999. C’était alors le temps de sa formation. Voici donc le paradoxe d’une politique étrangère périmée mais promue par un homme jeune qui pense comme il y a vingt ans. Elle se veut ambitieuse et il y a mis de l’énergie, plus intéressé et impliqué que beaucoup de ses prédécesseurs. Pourtant, elle déçoit, à cause de l’erreur du diagnostic initial. Non qu’il faille s’opposer à la construction européenne, impérative, mais bien plutôt que ce modèle-là, celui de l’UE, ne produit plus les effets qu’il promettait autrefois.

Il faut en changer. Ne pas le comprendre s’apparente à de l’obstination. Seuls les sots y voient du caractère. Il est temps de changer de cours. On lira dans notre prochain dossier l’analyse au jour le jour de cette stratégie perdue.

Lien vers « 2018, le monde qui  va (AMR)« 

JDOK