Perspectives 2024
2023 a été une année globalement sombre (guerres d’Ukraine, de Gaza, du Soudan, de Birmanie, crises du Sahel ou du Yémen) avec cependant quelques éclairs positifs. 2024 propose une UE dans l’incertitude, des États-Unis fragilisés, un Proche-Orient en grande tension, une Asie qui suit son cours, une Afrique en tourment et une France indécise.
Pour ce premier numéro d’année, faisons le point de l’année qui vient de s’écouler avant de nous interroger sur celle qui s’annonce.
2023, une année sombre
L’année 2023 n’a pas laissé de grands souvenirs : outre la guerre en Ukraine qui s’est poursuivie, sans succès notable pour Kiev, la guerre de Gaza s’est déclenchée et ne semble pas s’arrêter de sitôt (LV 227, 228, 231). Le Soudan s’est également déchiré, loin des regards (LV 216), tout comme la guerre civile birmane. Le Haut-Karabakh est passé sous le contrôle azéri, à la suite de trois jours de combats, amenant la fin de cette « république » installée en 1988. De nombreuses élections ont eu lieu, ramenant Lula au pouvoir au Brésil et installant Milei en Argentine (LV 231). En Europe, si des pro-Européens sont arrivés au pouvoir en Pologne, des souverainistes ont gagné en Slovaquie (LV 226) et aux Pays-Bas ; l’Espagne s’est engagée dans une voie difficile (LV 229) tandis qu’Erdogan, démentant les sondages, a retrouvé facilement une majorité. Au Sahel, les coups d’État se sont succédé accumulant les déconvenues à la France, forcée de quitter la zone (LV 224). Quant à Mayotte, la situation sécuritaire et migratoire est fort inquiétante, sans même parler des émeutes qu’a connu la métropole, que ce soit au début de l’année à l’occasion de la réforme des retraites ou cet été dans les banlieues.
2023, quelques lueurs tout de même
2023 laisse donc l’impression d’une année de mauvaise humeur, comme nous l’avions signalé dès la rentrée (LV 224). Cependant, il y a un catastrophisme dont il faut se méfier tant il paraît mécanique (LV 225). En effet, quelques signes positifs peuvent être discernés dans cette année.
Ainsi, la guerre de Gaza remet au-devant de la scène la question palestinienne. Mais il faut rappeler l’illusion d’un processus de paix, arrêté depuis des années ce que nous notions dès février (avant donc les événements d’octobre, LV 210), le seul mouvement étant celui d’un raccom-modement général du Moyen-Orient (LV 217) dont nous pensons qu’il n’est pas radicalement entravé par le conflit en cours.
Plus près de nous, le sacre de Charles III (LV 217) démontre la solidité d’une monarchie britannique, garante de stabilité malgré un Brexit toujours peu convaincant.
Alors que beaucoup s’inquiètent d’un ordre du monde en train de s’effondrer (oubliant que Kissinger disait que la notion d’ordre du monde est une illusion, LV 232), la 28ème conférence des parties (COP 28) qui s’est tenu à Dubaï a prouvé que la négociation internationale demeurait toujours à l’ordre du jour (LV 230). De même, les BRICS qui s’organisent et augmentent leurs membres (LV 219) suggèrent d’autres formes d’organisation : elles sont toutefois moins structurées que beaucoup le craignent.
Sur les grandes questions transversales, constatons que l’intelligence artificielle a connu une nouvelle accélération (LV 224 et 227). L’inflation semble maîtrisée et malgré le retour du protectionnisme, toutes les puissances promeuvent un commerce mondial qui conduit à la prospérité. La France enfin peut se féliciter d’une LPM finalement convenable (LV 219). Notons que la coupe du monde de rugby s’est bien déroulée, si l’on regarde les questions d’organisation et de sécurité (et qu’on oublie le résultat sportif : heureusement, l’équipe de France militaire de rugby a quant à elle gagné sa coupe du monde, face aux Fidji).
Une zone européenne dans l’incertitude
Cette incertitude ne vient pas des élections parlementaires européennes, prévues en juin, qui auront peu de conséquences : elles seront un sondage politique à grande échelle qui risque de montrer l’insatisfaction de nombreux Européens. Stratégiquement, ceux-ci resteront écartelés entre trois questions : l’Est, l’Ouest et l’intérieur. En interne en effet, les dissensions se font jour de plus en plus clairement. La chose est certes habituelle aux Européens qui trouvent toujours des compromis. Cela risque d’entraver cependant leur rapport aux défis géopolitiques du moment.
À l’est, la question russo-ukrainienne demeure face à une morne année 2024 où l’on espère que l’Ukraine résiste au mieux, sans perspective de victoire. V. Poutine devrait être réélu en mars et le soutien américain s’affaiblira. Dès lors, l’Europe aura la responsabilité de soutenir seule la résistance ukrainienne. Malgré les déclarations triomphales des 22 derniers mois, rien ne le garantit. Or, un conflit qui dure avantagera Moscou avec qui il faudra reparler. Les Européens n’y sont pas prêts.
À l’ouest, la question transatlantique se posera avec une acuité évidente. Nous avons régulièrement noté la fragilité américaine (LV 214 et 229). Les élections présidentielles et législatives de novembre annoncent bien des dangers entre deux ex-présidents, tous deux âgés (au risque d’un accident de santé dans les deux cas). La probabilité d’une réélection de Trump n’est pas faible. Même s’il était défait, rien ne dit que les institutions triompheront encore du mécontentement des perdants, dont on a vu il y a trois ans qu’ils étaient prêts à tout. Dans les deux cas, il y aura une Amérique profondément divisée qui se désintéressera de l’Europe. Le confortable parapluie mis en place il y a près de 80 ans risque de disparaître. Peu d’Européens y sont prêts.
Enfin, les Européens devront garder un œil sur la zone balkanique en tension, que ce soit en Bosnie ou en Serbie.
Un Proche-Orient en grande tension
La guerre de Gaza a remis la région sous une grande tension. Sans surprise, Israël a riposté violemment à l’attaque du Hamas du 7 octobre. En revanche, peu prévoyaient que l’effort durerait si longtemps, sans grande perspectives de succès. Les victimes civiles (près de 22.000 ?), les destructions massives, la persistance d’otages et le maintien d’une résistance armée du Hamas et des autres factions palestiniennes rendent les objectifs de Tel-Aviv difficilement atteignables. La situation politique israélienne reste délétère : rappelons que l’attaque du Hamas est intervenue alors qu’Israël connaissait depuis dix mois de massives contestations du gouvernement de Netanyahou (projet de réforme judiciaire, invalidée par la Cour suprême le 2 janvier).
À l’étranger, l’image d’Israël a fortement pâti de l’action à Gaza, dont peu comprennent encore les objectifs. Dès lors, un risque existe que Tel-Aviv cherche à élargir le conflit dans une fuite en avant. Ainsi, le Mossad a tué le 2 janvier S. al Arouri, leader du Hamas installé à Beyrouth. Mais des responsables du Hezbollah (H Yazbak) ou des gardiens de la révolution (R. Moussavi à Damas) ont également été frappés, alors qu’un gigantesque attentat avait lieu en Iran faisant plus de 80 morts (revendiqué par l’EI).
La guerre s’inscrivait dans la durée : voici qu’elle risque de s’étendre, ce qui constitue le principal risque en ce début d’année. La fragilité et l’hétérogénéité du gouvernement de Netanyahou, qui comprend des ministres d’extrême-droite, pose un problème évident. L’idée de chasser tous les Palestiniens de la bande de Gaza promue par certains est ainsi une fausse solution. Malheureusement, personne ne propose de solution crédible à la question palestinienne.
Observons également la poursuite du conflit au Yémen, les Houthis menaçant désormais le trafic maritime en mer Rouge (LV 232). Les élections législatives en Iran mettront également sous tension un régime extrêmement fébrile à la suite d’une année de protestations en faveur des femmes.
L’Asie suit son cours
En Asie du Sud, l’Inde connaîtra des élections législatives en mai. Ce sera l’occasion de revenir sur ce pays ambitieux mais divisé. Nous suivrons également ce qui se passera en Birmanie où la junte fait face au progrès des rebellions au nord du pays.
En Extrême Orient, les élections à Taiwan auront lieu en janvier. Pour l’instant, malgré les pressions chinoises, l’île fait preuve de sérénité et les sondages donnent tous un clair avantage au candidat du Parti démocrate progressiste (PDP), Lai Ching-te, poulain de la présidente sortante Tsai Ing-wen, en faveur d’une position ferme à l’égard de Pékin et excluant pour le moment toute idée de négociations avec le Parti communiste chinois. L’élection se déroulera dans le contexte d’une rivalité sino-américaine, en cours d’apaisement actuel. Cependant, il faut se méfier de la Chine qui connaît des difficultés intérieures.
L’Afrique en tourment
2023 connaîtra des élections au Sénégal mais aussi en décembre en Algérie. Dans ce dernier cas, la succession de M. Tebboune reste une inconnue, le régime n’ayant pas encore donné d’indication sur ses intentions.
Le Sahel restera dans une impasse étendue, tant les gouvernances au Mali, au Burkina ou au Niger paraissent suivre des cours imprévisibles, les rebelles poursuivant leur action. Plus à l’est, si le Tchad demeure encore stable, le Soudan s’enfonce dans une guerre civile dont on ne voit pas la fin. Un peu plus loin, c’est la corne de l’Afrique qui est en proie aux troubles : le récent accord entre l’Ethiopie et le Somaliland conduit à reconnaître cette dernière.
La France indécise
La France accueillera les Jeux Olympiques au cours de l’été, occasion de festivités bienvenues et favorisant cohésion et réputation. En politique étrangère, face aux incertitudes très nombreuses, elle aura intérêt à rester discrète et opportuniste. Cela sera particulièrement vrai au Proche-Orient, en Afrique et même en Asie. Elle doit réfléchir très tôt aux suites de l’élection américaine.
JOVPN
Pour lire l’autre article du LV 233, Un seul objectif : la victoire ! , cliquez ici
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